Nés de parents réfugiés originaires du Soudan du Sud, le plus jeune État du monde, dévasté par des années de guerre civile, Awer Mabil, Thomas Deng et Garang Kuol disputeront, mardi, leur premier mondial sous les couleurs de l'Australie face à l'équipe de France.

Le destin n'est jamais écrit. Awer Mabil, 27 ans, en sait quelque chose. Après avoir connu enfant les terrains improvisés d'un camp de réfugiés au Kenya, le jeune australien s'apprête à fouler la pelouse du flambant neuf Al-Janoub stadium pour affronter, mardi 22 novembre, l'équipe de France, championne du monde.
Son ami, Thomas Deng, a lui aussi été élevé au Kenya par des parents fuyant le conflit meurtrier au Soudan du Sud. Garang Kuol, 18 ans, considéré comme le joueur australien le plus prometteur de la sélection depuis Harry Kewell, était encore bébé quand sa famille a posé ses bagages au pays des kangourous.
Malgré leur manque d'expérience des grandes compétitions internationales, le trio assure qu'il ne sera aucunement impressionné par les tenants du titre. "Ils sont humains, comme nous", a expliqué Awer Mabil, qui a rejoint l'Australie à l'âge de dix ans et évolue actuellement à Cadiz en Liga espagnole. "Évidemment, ce sont des joueurs de très haut niveau mais on ne peut pas entrer sur le terrain en pensant, en leur montrant trop de respect, sinon on a déjà perdu le match", a ajouté l'ailier, lors d'une conférence de presse, le 18 novembre, à Doha.
Le sélectionneur australien, Graham Arnold, aura toutefois fort à faire pour sortir vivant de ce groupe D composé également de la Tunisie et du Danemark, éliminé de justesse par la Croatie en huitième de finale du dernier mondial en Russie.
De son côté, l'Australie n'a pas gagné un seul match de Coupe du monde depuis 2010 et une victoire 2 buts à 1 contre la Serbie. En 2006, les Socceroos sont parvenus à atteindre les matches à élimination directe mais se sont inclinés à la dernière minute du temps réglementaire sur un penalty imaginaire accordé à l’Italie. Un traumatisme pour les Australiens qui avaient livré un match héroïque.
Le prodige Garang Kuol
Qualifiée de justesse pour le Mondial-2022 à l'issue d’une séance de tirs au but étouffante face au Pérou, l’Australie espère ouvrir une nouvelle page de son histoire avec son jeune trio, considéré comme le plus prometteur depuis la génération dorée des Kewell, Viduka et Cahill.
Parmi ces talentueux footballeurs, le prodige Garang Kuol, le deuxième plus jeune joueur du Mondial-2022, après l’Allemand d’origine camerounaise Youssoufa Moukoko, attire tout particulièrement l‘attention du gotha européen. Newcastle, en Premier League, a d’ailleurs décidé de miser sur lui dès le mois de janvier alors qu’il n’est même pas titulaire à part entière dans son club des Central Coast Mariners en Australie.
Plus tôt cette année, Garang Kuol a également tapé dans l’œil de Xavi Hernandez, l’entraîneur du FC Barcelone, après une apparition lors d’un match amical contre les Blaugrana au cours duquel il a inscrit deux buts après être entré en cours de jeu.

"Il a une grande confiance en lui et il a vraiment un bel avenir devant lui", prédit son coéquipier Thomas Deng, qui évolue en défense central pour le club japonais de l'Albirex Niigata.
Garang Kuol a affirmé ne pas se sentir intimidé par les grands joueurs qu’il s’apprête à défier, notamment la star de l’équipe de France, Kylian Mbappé. "Je trouve cela plus excitant de me mesurer à des joueurs de ce calibre", a-t-il confié.
"L'Australie pourrait devenir la prochaine France"
Ce changement de visage de l'équipe d'Australie, lié à une immigration qui connaît ces dernières années des niveaux historiquement élevés, suscite parfois des comparaisons avec la diversité des équipes de France, notamment celles victorieuses de la Coupe du monde en 1998 et en 2018.
"L'immigration en Australie n'est pas si différente et cela commence à se voir dans les rangs des Socceroos", affirme le journal de Melbourne, The Age, ajoutant que certains commentateurs n'hésitent pas à suggérer que "l'Australie pourrait devenir la prochaine France".
Si on ajoute au trio sud soudanais Keanu Baccus né en Afrique du Sud, quatre des 26 joueurs australiens présents au Qatar ont des origines africaines. Mais ce chiffre devrait rapidement augmenter à mesure que s'effacent les dernières barrières sociales qui ont longtemps tenu éloigné des clubs de sport les immigrés les plus pauvres.
"Ce n'est que le début", veut croire Awer Mabil auprès de The Age. "C'est très intéressant pour le football australien. Nous sommes un pays très multiculturel et de le constater dans l'équipe nationale, cela peut être une source de motivation pour des gamins en Afrique qui peuvent désormais voir ce qu'ils peuvent devenir ici".
Lors de la conférence de presse, Awer Mabil a insisté sur l'importance de représenter non seulement les Australiens mais aussi les enfants de sa communauté. "Quand j'étais gamin, je voulais que quelqu'un me montre la voie. Aujourd'hui, c'est notre objectif. Aller toujours plus loin pour montrer le chemin à tous ces enfants", explique l'ailier.
Mais Awer Mabil fait bien plus que montrer la voie. Il cherche également à apporter du réconfort aux jeunes réfugiés grâce à son association Barefoot to Boots qui dispense éducation, soins médicaux et entraînements de football à de jeunes filles et garçons du camp kenyan dans lequel il a grandi.
"Quand des jeunes voient ce que Mabil a accompli, le rêve devient réalité", assure à la télévision australienne Ian Smith, membre du conseil d'administration de l'Adelaide United, l'ancien club de Awer Mabil avant d'ajouter : "Mabil est un jeune homme extraordinaire. Il a le courage d'un lion et le cœur d'un ange".
Article traduit de l'anglais par Grégoire Sauvage. L'original est à retrouver ici.