Alors que le Liban s’enfonce jour après jour dans une crise économique aiguë, et que le mandat du président Michel Aoun prend fin le 31 octobre, les députés ont entamé, le 29 septembre, le processus visant à élire son successeur. Vu les divisions qui règnent au sein du Parlement, il faut s’attendre à ce que le bras de fer politique autour de ce poste réservé aux chrétiens maronites s’éternise. Lors de la dernière présidentielle, le pays du cèdre était resté sans président pendant 29 mois.
La série de braquages de banques commis par des épargnants libanais voulant récupérer leurs économies bloquées depuis trois ans, qui a attiré l’attention des médias étrangers ces dernières semaines, a éclipsé l’élection présidentielle actuellement en cours au Liban.
Le mandat de six ans non renouvelable du président actuel, l'ex-général Michel Aoun, arrivant à échéance le 31 octobre, le processus a en effet débuté le 29 septembre au sein du Parlement - où les 128 députés disposent du pouvoir constitutionnel d’élire le chef de l’État - pour le remplacer. Le scrutin se déroule à bulletin secret et le président de la République est élu à la majorité des deux tiers au premier tour et à la majorité absolue aux tours suivants.
Sans surprise, la première séance parlementaire n’a pas été fructueuse. Face aux divisions qui règnent au sein de la classe politique, aucun consensus n'a encore été trouvé pour choisir le successeur de Michel Aoun. Cette dernière est si polarisée qu’elle est déjà bien incapable de s’entendre pour former un nouveau gouvernement, en remplacement de celui actuellement dirigé par le Premier ministre Najib Mikati, chargé d'expédier les affaires courantes depuis le 22 mai, date du début du mandat du nouveau Parlement…
"Un exercice de pure forme"
La majorité des 122 suffrages exprimés le 29 septembre étaient ainsi blancs (63 voix, dont celle du pouvoir actuel composé par des élus du Hezbollah et du parti de Michel Aoun), tandis que Michel Moawad, député maronite et fils du président René Moawad assassiné en 1989, a récolté 36 voix issues des rangs de l’opposition.
À noter qu’une voix a été dédiée à Mahsa Amini, la jeune Iranienne décédée le 16 septembre à Téhéran, après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour avoir mal porté son voile, et dont la mort a déclenché le mouvement de contestation en cours en Iran.
À l'issue cette première séance électorale, décrite par le quotidien francophone L’Orient-le-Jour "comme un exercice de pure forme", le président du Parlement Nabih Berri a levé la séance : des parlementaires s’étaient retirés de la Chambre en provoquant un défaut de quorum. La nouvelle session, fixée au jeudi 13 octobre, va très certainement déboucher sur le même résultat.
Selon la Constitution, si l’élection n’est pas tenue au cours des dix derniers jours du mandat du président en exercice, le Parlement ne peut plus légiférer car il a l’obligation de ne tenir que des sessions présidentielles.
Déjà confrontés quotidiennement à la pire crise économique de l’Histoire du pays, les Libanais savent que le processus présidentiel peut durer longtemps.
Très longtemps même. Faute d’accord entre les différents camps politiques et de blocages politiciens, ils avaient enduré 29 mois de vide institutionnel après la fin du mandat de l’ancien président Michel Sleimane, le 25 mai 2014.
À l’époque, il avait fallu attendre la 46e séance électorale et d'interminables tractations pour que le quorum des deux tiers nécessaires pour organiser le vote - soit 86 des 128 députés - soit atteint et que Michel Aoun, l’allié politique du Hezbollah pro-iranien, soit élu le 31 octobre 2016.
Un poste réservés aux chrétiens maronites
Les accords de Taëf, signés en 1989 en Arabie saoudite dans le but de mettre fin à quinze ans de guerre au Liban, ont transféré le pouvoir exécutif au profit du Conseil des ministres, les prérogatives du président sont limitées.
Par exemple, en matière de défense, le chef de l’État est bien désigné comme le commandant des forces armées mais celles-ci restent "soumises au Conseil des ministres" d’après les textes qui ont acté le principe d’une démocratie confessionnelle et consociative - c’est-à-dire un modèle politique basé sur la nécessité de partager le pouvoir entre différentes communautés.
Officiellement, l’État libanais en compte 18 : les chrétiens (maronites, grec-orthodoxes, grec-catholiques melkites, syriens-orthodoxes, syriens-catholiques, assyriens, chaldéens, coptes orthodoxes, arméniens apostoliques, arméniens catholiques, latins et protestants), les musulmans (chiites, druzes, sunnites, ismaéliens et alaouites) ainsi qu’une communauté juive.
La représentation formelle de ces communautés religieuses dans l’État libanais (fonctions officielles et administratives) est organisée conformément au Pacte national de 1943, année de l’indépendance du pays. Scellé à l’époque entre les leaders maronites et sunnites du pays, ce pacte non écrit stipule que le président de la République et le chef de l’armée sont toujours chrétiens - précisément maronites - tandis que le Premier ministre est sunnite et que le président du Parlement est membre de la communauté chiite.
Depuis Taëf, les 128 sièges de députés sont répartis paritairement entre musulmans et chrétiens, et à l’intérieur de ces deux blocs confessionnels le nombre d’élus est fixé en fonction du poids démographique de leur communauté (les chiites en disposent de 27, les maronites de 34), fixé par le dernier recensement effectué … en 1932.
Mis en place pour favoriser le consensus, le système a été détourné au fil des ans par les poids lourds de la classe politique, contre laquelle la population s’est soulevée en 2019, qui ont multiplié les blocages politiques et érigé le marchandage politicien comme mode de gouvernance.
Lors de l’élection de Michel Aoun, un camp, celui du l’ancien général et du Hezbollah, son allié politique, avait ainsi réussi à imposer son candidat après avoir longtemps bloqué le scrutin présidentiel. Six ans plus tard, ce même camp, qui a pourtant perdu sa majorité lors des dernières législatives, tente de favoriser l’arrivée au pouvoir du gendre du président sortant, l’ancien ministre des Affaires étrangères Gebran Basil. Son profil clivant est loin de faire l’unanimité au Liban.
Un nouveau bras de fer risque donc de s’engager et de s’éterniser le temps de s’accorder sur un candidat de compromis pour débloquer la situation actuelle. Alors que plus de 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté selon l'ONG Care, les Libanais, eux, ont plus que jamais besoin que leurs institutions fonctionnent à plein régime.