Pour la première fois en France, quatre acteurs ont été mis en examen pour viol lors de tournages de vidéos pornographiques. Des organisations féministes appellent désormais à "la fin de l’impunité" dans un secteur très peu régulé.
C'est une enquête tentaculaire qui a duré plus d'un an et a permis de récolter les témoignages de 53 victimes d'abus lors de tournages de films X en France. Aux policiers, ces femmes ont décrit la culture du viol qui règne sur les plateaux, la drogue et les pratiques sexuelles imposées et humiliantes. En tout, 30 actrices ont officiellement porté plainte.
Quatre acteurs porno, dont un est également cadreur, ont été mis en examen fin octobre pour viols, une première en France. Trois d'entre d'eux sont en détention provisoire. Le dernier a quant à lui été placé sous contrôle judiciaire.
"Personne ne croyait ces femmes, ni la police, ni leurs collègues masculins", déplore l'avocate Marjolaine Vignola, qui représente deux victimes, lors d'une interview accordée à France 24. "Ces actrices ont souvent des contrats de travail dont la légalité pose question. Parfois, ils sont même complètement nuls juridiquement. Mais dans l'industrie pornographique, tant qu'il y a un contrat, personne ne va aller regarder pour vérifier si tout est en ordre."
Chambre à coucher ou film X, "la loi est la même"
L'enquête, débutée en mars 2020, s'est notamment concentrée sur le site French Bukkake et son créateur, Pascal Op, soupçonné de proxénétisme aggravé et de trafic d'êtres humains. L'acteur et réalisateur est connu dans le milieu pour ses productions violentes dans le style 'gonzo', des films à petit budget, sans dialogue ni scénario. Il est actuellement en détention avec un autre producteur, Mat Hadix.
Selon le journal Le Parisien, les acteurs mis en examen auraient craqué en revoyant certaines de ces vidéos. Invité par le juge à décrire une séquence au cours de laquelle il force violemment une actrice à lui faire une fellation, l'un d'entre eux a reconnu les faits : "Dans ce cas, je suis coupable, je n'ai aucune excuse. De ce que vous m'avez expliqué, c'est un viol, parce que le consentement de la fille n'est pas…", a t-il admis avant de s'effondrer en larmes.
"C'est une bonne chose que les acteurs soient poursuivis", assure Marjolaine Vignola. "Si une femme pleure et crie alors qu'on continue à lui imposer du sexe anal, dans la chambre à coucher ou sur le tournage d'un film pornographique, la loi est la même. Le consentement doit être renouvelé pendant l'acte sexuel."
"Un vaste réseau de proxénétisme"
Dans un communiqué, le Mouvement du Nid, une association qui lutte contre la prostitution et vient aide aux travailleuses du sexe. Dans un communiqué, l'association affirme que "c'est toute l'organisation d'une industrie 'pornocriminelle' qui est mise à nu : un vaste réseau de proxénétisme et de trafic d'êtres humains, soumettant des femmes à la prostitution, aux viols et à des actes de torture".
"C'est une affaire très importante", assure à France 24 Sandrine Goldschmidt, la porte-parole de Mouvement du Nid. "Cela montre que l'impunité peut être remise en cause et que rien n'est joué d'avance."
Parallèlement, une autre enquête a été ouverte contre le site Jacquie et Michel en juillet 2020. Ces investigations ont été lancées après le signalement d'une vidéo par Osez le féminisme, Les Effronté-es et le Mouvement du Nid. Ces trois associations féministes se sont appuyées sur des témoignages recueillis par le média Konbini qui révélaient des abus sexuels subis par deux actrices lors de tournages pour la plateforme.
En réponse à ces accusations, en novembre 2020, Jacquie et Michel et le géant du porno français Marc Dorcel ont annoncé le lancement d'une charte de déontologie. Les recommandations ont été publiées en avril après plusieurs mois de consultations avec des membres de l'industrie du X.
Mais cette charte est vivement critiquée par les organisations féministes qui la qualifient de "bidon". Le journaliste Robin D'Angelo, qui s'est infiltré pendant un an dans le monde du porno amateur pour les besoins d'une enquête, a estimé dans une interview à France Inter que "ces chartes sont juste un coup de com', assez opportuniste, pour ne pas dire cynique".
Selon l'avocate Marjolaine Vignola, la publication d'une charte "ne peut être une réponse à des accusations de proxénétisme, de viols collectifs et de trafic d'êtres humains. Une charte n'est pas à même de changer tout un système. C'est simplement une tentative de se racheter".
L'industrie pornographique française est loin d'être la seule concernée par cette libération de la parole des actrices. Aux États-Unis, l'acteur Ron Jeremy a été mis en examen en août pour 30 viols et agressions sexuelles. Il est actuellement incarcéré dans l'attente de son procès.
Article traduit de l'anglais par Grégoire Sauvage. L'original est à retrouver ici.