L'Union européenne est pointée du doigt par plusieurs députés et autres personnalités pour avoir acheté à prix d'or le remdésivir, un antiviral potentiellement efficace contre le Covid-19. Or ce médicament a depuis été déconseillé par l'Organisation mondiale de la santé. Y a-t-il donc un scandale du remdésivir ?
Pour bien comprendre, il faut revenir au tout début de la crise. Nous sommes au mois de février 2020 et il n'y a encore aucun traitement contre le Covid-19. Une étude chinoise donne de l'espoir, confirmée par un essai plus large fin avril, publié dans la revue The Lancet. Le remdésivir, un antiviral conçu initialement contre Ebola, permettrait de guérir plus rapidement du nouveau coronavirus : 11 jours au lieu de 15, pour les personnes ayant reçu un placebo. L'étude affirme déjà qu'il n'y aurait aucun impact sur la mortalité. Face à ce résultat, les agences européenne et américaine du médicament donnent leur feu vert à son utilisation dans certains cas. Résultat : plusieurs pays, dont les États-Unis, passent commande auprès du laboratoire américain Gilead, qui vend le remdésivir sous le nom de Veklury. Pour l'Union européenne, la Commission négocie et signe coup sur coup deux contrats en juillet et en septembre. L'un pour 30 000 traitements, l'autre pour 3 400 traitements supplémentaires. Au total, cela représente plus de 200 000 doses à 345 euros. La facture s'élève à 70 millions d'euros. Contactée par France 24, la Commission européenne confirme ces chiffres et souligne qu'elle a "établi sa décision sur la base d'une étude scientifique". Il n'y avait alors aucune autre contre-indication.
Concernant le prix, il parait très cher, surtout que selon le Journal of Virus Eradication, le coût de fabrication du remdésivir est de moins de 0,94 dollars par dose, soit 420 fois moins cher que le prix effectivement payé par Bruxelles. Et même si ce montant ne comprend pas le coût de la recherche, on peut en conclure que le laboratoire américain Gilead, qui fabrique le médicament a très bien négocié. Surtout lorsqu'on sait qu'un pays comme l'Ukraine a pu bénéficier d'un générique en septembre à 20,45 dollars la dose.
Les choses se compliquent pourtant à l'automne. Plusieurs Éats européens demandent des doses supplémentaires pour leurs patients. Le 7 octobre, la Commission européenne négocie avec le laboratoire Gilead un accord cadre pour la livraison potentielle de 3 millions de doses supplémentaire aux pays européens et quelques voisins. Contrairement aux deux premiers contrats, il ne s'agit pas d'une commande ferme. "Bruxelles ne paye rien", précise une source à la Commission, ce sont les États qui le font s'ils le souhaitent. À ce jour une vingtaine d'États de l'UE, dont l'Allemagne, l'Espagne et la Belgique, et d'Europe orientale, non membres de l'UE, ont passé commande. Et selon les calcul du journal Le Monde, la facture s'élève déjà à plus de 220 millions d'euros. La France elle fait figure d'exception. Elle n'a pas passé de commande, jugeant que l'efficacité du médicament n'est pas suffisamment prouvée.
Elle a peut être raison, car quelques jours après la signature de l'accord cadre, l'Agence européenne du médicament reçoit le projet de publication d'une étude scientifique menée à grande échelle de l'OMS, l'essai Solidarity. Et celle-ci conclut à l'absence d'effet du médicament sur la mortalité. Sur la base de cette étude, l'OMS déconseille son utilisation le 20 novembre dernier. Seulement, selon l'enquête très détaillée de Lise Barnéoud dans Le Monde, le laboratoire Gilead avait lui reçu, selon une obligation contractuelle, le manuscrit avant la signature de l'accord. Il savait donc que l'étude Solidarity concluait à l'absence d'efficacité du médicament, lorsqu'il a signé. Et il n'a rien dit.
Alors, est-ce pour autant un scandale ? Contactée par France 24, la Commission européenne affirme que non. Elle affirme que pour l'instant l'Agence européenne du médicament maintient son autorisation d'utilisation malgré la recommandation de l'OMS. Début décembre, un éditorial du prestigieux New England Journal of Medecine a critiqué la position de l'OMS affirmant que si effectivement plusieurs études concluent à l'absence d'incidence sur la mortalité, il y a encore des raison de penser que le traitement peut permettre une guérison plus rapide dans certains cas.
Le débat continue donc au niveau scientifique. Mais chose est sûre : le laboratoire Gilead lui a réussi son coup commercial, avec un chiffre d'affaires en hausse de 17 % au 3e trimestre et un bénéfice net de 360 millions de dollars.