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Covid-19 : une étude souligne l’importance de la surmortalité durant la première vague

Les pays qui ont le moins investi dans leur système de santé, sont aussi ceux qui ont connu la plus importante surmortalité durant la première vague de l'épidémie de Covid-19, conclut une étude internationale publiée mercredi. Les chercheurs estiment l’excès à plus de 200 000 décès pour 21 pays, essentiellement européens.

La première vague de Covid-19 a entraîné une surmortalité de 206 000 décès dans 21 pays industrialisés. Telle est la conclusion d’une large étude internationale, publiée mercredi 14 octobre dans la revue Nature, qui tente d’établir un état des lieux sur le nombre réel de décès durant la crise sanitaire entre fin janvier et fin mai 2020.

L'étude ne comptabilise pas seulement les décès dus au Covid-19, mais tente d’estimer le nombre de ceux, toutes causes confondues, qui ne seraient pas survenus s’il n’y avait pas eu de pandémie. Il peut s’agir de personnes souffrant d’autres maladies graves, n’ayant pu avoir accès aux soins adéquats faute de place à l’hôpital, ou de victimes de violences domestiques durant le confinement, ou encore de l’augmentation du nombre de suicides chez des personnes fragiles.

Meilleur indicateur que le nombre de décès attribués au Covid-19

Pour parvenir à leurs conclusions, cette équipe de chercheurs, chapeautée par des scientifiques de l’Imperial College de Londres, a élaboré un modèle mathématique qui, sur la base du nombre de décès annuel depuis 2015, a permis d’estimer combien de personnes seraient mortes durant les quatre premiers mois de cette année s’il n’y avait pas eu de crise sanitaire. Ce nombre a ensuite été comparé à la réalité de la situation dans les 21 pays analysés (19 en Europe, plus l’Australie et la Nouvelle-Zélande).

“Estimer la surmortalité est un exercice habituel pour évaluer les effets réels des épidémies de grippes ou des événements climatiques extrêmes, par exemple”, note Kevin McConway, chercheur en statistiques appliquées à l’Open University de Milton Keynes (Royaume-Uni), interrogé par le site britannique Science Media Centre. C’est surtout, selon lui, un bien meilleur indicateur des conséquences de la pandémie que les statistiques officielles.

“D’abord, cela permet de prendre en compte les conséquences indirectes et, surtout, cela donne lieu à des comparaisons plus pertinentes entre les pays”, souligne Majid Ezzati, chercheur en santé environnementale et auteur principal de l’étude, contacté par France 24. La manière de comptabiliser les décès dus directement au coronavirus varie, en effet, selon les pays. Certains États, comme la Belgique, ont ainsi pris en compte les cas de personnes qui étaient seulement suspectées d’avoir été contaminées, tandis que d’autres ont eu des définitions beaucoup plus restrictives pour effectuer leur décompte.

Selon l’étude, les pays qui ont connu la surmortalité la plus importante durant la première vague sont l’Espagne (38 % de décès en plus liés à la pandémie), l’Angleterre et le Pays de Galles (37 %). “Le cas de l’Angleterre est particulièrement frappant car il souligne les graves conséquences, en temps de pandémie, de la dégradation de la protection sociale et du manque de modernisation des infrastructures sanitaires, qui ont été délaissées par le gouvernement, trop occupé par le Brexit”, estime Martin McKee, professeur de santé publique européenne à la London School of Hygiene and Tropical Medicine et co-auteur de l’étude, contacté par France 24.

La France, un cas à part

La France est, avec la Belgique, un cas à part. Ce sont les deux seuls pays où le total officiel des victimes du Covid-19 est... supérieur à la surmortalité calculée par les chercheurs. Cette apparente incohérence s’explique : “Cela peut être dû, en partie, au fait qu’un certain nombre de personnes comptabilisées comme des victimes du virus auraient probablement succombé de toute façon durant cette période, à cause de comorbidités, et ne sont donc pas prises en compte comme des décès excédentaires dans notre modèle”, souligne Majid Ezzati.

Dans certains pays, la première vague s’est même traduite par un nombre moins élevé de décès que s’il n’y avait pas eu de pandémie. Ainsi, les auteurs de l’étude sont parvenus à la conclusion qu’en Bulgarie, il y avait eu 1 110 décès en moins par rapport à leur projection, en se basant sur les tendances des cinq dernières années. Le constat est similaire pour l’Australie ou encore la République tchèque. 

Là encore, ce n’est pas une erreur de calcul : la situation sanitaire a permis d’éviter un certain nombre de morts qui se produisent en temps plus normaux. “Dans ces pays, il y a eu un faible taux de contamination auquel s’est ajouté le fait que les mesures de distanciation sociale ont probablement réduit le nombre d’infections à d’autres virus, comme la grippe. Par ailleurs, les restrictions de déplacement ont pu, par exemple, avoir un effet positif sur le nombre d’accidents de la circulation”, analyse Majid Ezzati.

Pour autant, il faut se garder de conclure que cette pandémie aurait été “bénéfique” pour ces pays. “On ne sait pas encore quels sont les effets à moyen et long terme de mesures comme le confinement, dont le coût économique [perte d’emplois, de revenus etc., NDLR] peut avoir des conséquences sanitaires lourdes”, souligne l’auteur principal de l’étude.

“Le confinement prouve que les autres politiques ont échoué”

Ce travail de comparaison effectué a néanmoins ses limites. Ainsi, certaines nations importantes manquent à l’appel, à commencer par les États-Unis et l’Allemagne. “C’est sûr qu’on aurait bien aimé avoir des données pour ces pays, tout comme pour la Grèce ou la Corée du Sud, ce qui nous aurait permis d’affiner nos conclusions”, reconnaît Majid Ezzati.

Mais pour les États-Unis, pays qui a enregistré le plus de morts depuis le début de la pandémie, “la grande variété de politiques sanitaires mises en œuvre et la manière de collecter les informations dans les différents États rendaient difficiles d’avoir des données unifiées”, souligne Martin McKee. Même problème pour l’Allemagne avec ses 16 Länders.

“Je ne pense pas, cependant, que cela change fondamentalement le tableau qui se dégage de notre étude”, affirme Majid Ezzati. Dans l’ensemble, les pays qui s’en sont le mieux sortis durant la première vague, sont ceux qui ont pu mettre en place rapidement une politique efficace de tests et de traçage des cas contacts, comme “cela a été le cas au Danemark”, notent les auteurs de l’étude. Les États dont les systèmes de santé sont bien financés ont aussi traversé cette période en enregistrant beaucoup moins de décès toutes causes confondues. C’est le cas, notamment, de l’Autriche qui dispose de près de trois fois plus de lits d’hôpital par habitant que le Royaume-Uni.

Le recours au confinement, s’il a été utile durant la première vague, “doit rester la solution de dernier recours”, affirme Martin McKee. “C’est le signe que les autres politiques ont échoué”, ajoute Majid Ezzati. Pour lui, la leçon des premiers mois de la pandémie est qu’au-delà des mesures d’urgence à prendre pour faire face à la deuxième vague, il est impératif de se “focaliser sur les investissements à long terme dans les systèmes de santé nationaux”. Et surtout, d’éviter de chercher à faire des économies sur le dos des hôpitaux lorsqu’il sera de nouveau question de réduire les déficits.