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Seconde Guerre mondiale : républicains espagnols et premiers déportés de France

Le 20 août 1940, quelques semaines après l'armistice, un premier acte de déportation était commis par les nazis en France. Au départ d'Angoulême, près de 900 républicains espagnols étaient dirigés vers Mauthausen, en Autriche, puis vers l'Espagne. Longtemps oublié, ce convoi fait aujourd'hui l'objet d'un travail mémoriel.

"On ne voyait rien car les lucarnes des wagons étaient trop petites, on ne savait pas où ils nous emmenaient". C’est par ces mots que José Alcubierre, décédé en 2017, avait raconté, il y a quelques années au journal Sud Ouest, son départ vers Mauthausen par le premier convoi parti de France, le 20 août 1940.

Alors âgé de seulement 16 ans, il faisait partie d’un groupe de près de 900 républicains espagnols raflés par les autorités allemandes à Angoulême, moins de deux mois après la signature de l’armistice. Ces hommes, femmes et enfants avaient trouvé refuge en Charente en 1939 lors de la Retirada, la retraite d’un demi-million d’Espagnols fuyant le régime de Franco. Un camp, celui des Alliers, avait été aménagé par les autorités françaises pour les regrouper, à la sortie d’Angoulême. "Ce n’était pas des prisonniers. Ils pouvaient sortir. Ils étaient recrutés pour des travaux agricoles et beaucoup travaillaient aussi à la poudrerie voisine. Certains vivaient même en dehors du camp, chez l’habitant", décrit Arnaud Bouligny, chercheur à la Fondation pour la mémoire de la déportation.

Des indésirables

Mais à l’arrivée des Allemands en juin 1940, tout bascule. "Pour eux, les républicains espagnols étaient des rouges, des ennemis du Reich", raconte l’historien. "Ils expliquent au ministère français de l’Intérieur qu’il faut les grouper car ils représentent une menace". Le 13 juillet 1940, l’ordre est ainsi donner de regrouper tous les réfugiés espagnols du département dans un camp proche d’une voie ferrée, celui des Alliers. Il compte alors environ 1 500 personnes.

Peu à peu, la rumeur de la formation d’un convoi circule à Angoulême alors que les réfugiés espagnols sont recensés. Certains disent qu’ils seront conduits vers la zone libre, d’autres vers l’Espagne et même vers la Norvège ou encore la Russie pour y travailler. Au matin du 20 août 1940, ces bruits deviennent réalité. Les forces allemandes, des soldats de la Wehrmacht et des Feldengendarmes, selon Arnaud Bouligny, ceinturent le camp des Alliers. Ils ordonnent aux occupants de se diriger avec leurs affaires vers la gare d’Angoulême, où les républicains découvrent un train composé de 20 à 30 wagons à bestiaux. "Ils ne vont partir qu’en milieu d’après-midi car dans le même temps, les autorités françaises avaient eu pour ordre des Allemands de récupérer un maximum de personnes parmi ceux qui logeaient en ville", précise ce spécialiste de la déportation. Un document conservé par les archives départementales de la Charente fait état de 437 femmes et enfants, 490 hommes, soit 927 personnes, sans que ce chiffre n’ai pu être vérifié. Le convoi gardera en tout cas ce nom, celui des 927.

Des familles séparées

À l’intérieur, personne ne connaît la destination finale. Ce n’est qu’après quatre jours de voyage que le train arrive finalement dans le camp de concentration de Mauthausen, en Autriche. C'est l’un des plus durs instaurés par le régime nazi où sont enfermés, depuis 1938, des prisonniers de droits communs et politiques jugés irrécupérables. Les portes s’ouvrent et des officiers SS demandent seulement aux hommes de descendre. "Les femmes criaient les prénoms de leur mari et de leur fils. J’ai l’impression de les entendre encore", avait témoigné José Alcubierre. Déporté avec son père, le jeune homme découvre l’enfer.

À Mauthausen, il retrouve des compatriotes qui avaient rejoint l’armée française et qui avaient été faits prisonniers durant la bataille de France. Jugés dangereux, ils avaient été extraits de leur "stalag" pour être conduits dans ce camp de concentration : "On a vu des hommes habillés en zébré. On a compris que quelque chose n’allait pas. Ils nous ont déshabillés, passés sous la douche et désinfectés. On nous a donné à manger une louche d’une sorte de soupe qui sentait mauvais. Je me suis dit que j’allais mourir là".

Dans le même temps, le train reprend sa route. Il repart vers l’Ouest et repasse par Angoulême, avant de se diriger vers l’Espagne où il arrive finalement le 1er septembre. Les femmes et les enfants sont répartis selon leur lieu d’origine. Certaines sont emprisonnées par le régime franquiste. De retour dans leur pays, la plupart garde le silence sur ce qu’elles viennent de vivre, et attendent dans l’angoisse d’avoir des nouvelles de leurs proches déportés à Mauthausen. Pour ces derniers, le quotidien est particulièrement rude. Les déportés sont affectés à une carrière de granite ou à des chantiers de construction. L’espérance de vie est réduite. Sur les 430  Espagnols d’Angoulême, 354 trouvent la mort en déportation. José Alcubierre est séparé de son père en janvier 1941 : "Il est parti dans un autre camp, à Gusen. Je ne l’ai plus jamais revu. J’ai appris plus tard qu’il avait été tué à coups de pied pour avoir voulu aider un autre déporté".

Un convoi occulté

Le jeune espagnol est libéré en mai 1945 et reviendra s’installer en Charente, où il vivra jusqu’à son décès. Sa mémoire, et celles de ses camarades, est aujourd’hui entretenue notamment par l’Association de Parents et de Familles Espagnoles Emigrés en France (APFEEF). "Nos parents ne nous parlaient pas de ça. Ils voulaient oublier", explique Grégorio Lázaro, le président de l’APFEEF de Charente, dont une tante a fait partie de ce convoi. "On a parlé des trains de la déportation des juifs, qui n’ont commencé à partir vers l’Allemagne qu’après la décision de la solution finale en 1942, mais on a complètement occulté cette histoire du convoi des 927, au même titre qu’on a oublié les Espagnols pour leur rôle dans la Résistance et la libération des villes françaises".

Ce train occupe pourtant une place singulière dans l’histoire de France, du fait de sa date précoce, de sa composition et de la séparation des familles. "Nous voulions commémorer dignement cet anniversaire pour les 80 ans du convoi, malheureusement la crise du Covid-19 nous en empêche", regrette Grégorio Lázaro. "Les autorités nous ont accordé une cérémonie 'légère' devant notre stèle à la gare d’Angoulême et une séance de cinéma en plein air avec la projection du documentaire 'Le convoi des 927'".

À défaut d’une grande cérémonie, un travail organisé par les Amis de la Fondation pour la mémoire de la déportation est en cours de réalisation avec des scolaires de CM2 à la terminale. Les élèves participent à l’élaboration de notices biographiques sur les déportés de ce convoi. "Ces notices sont ensuite envoyées au Conseil scientifique de la Fondation pour validation. Elles seront éditées par le quotidien La Charente Libre entre novembre 2020 et fin 2025", précise Michèle Soult, présidente départementale de cette association. Ces fiches seront également publiées sur le site de la Fondation pour la mémoire de la résistance et sur celui des archives départementales.

Une belle récompense pour les participants, mais surtout une prise de conscience plus que jamais d’actualité, selon Michèle Soult : "À l'heure où, un peu partout dans le monde, émergent les extrémistes avec leurs doctrines visant à soumettre, voire à détruire tout ce qui n'est pas conforme à leurs idéaux, il est très important de faire réfléchir les jeunes sur notre douloureux passé, de démonter avec eux les mécanismes de ces politiques fascistes, et souvent négationnistes ou révisionnistes, afin qu'ils deviennent des citoyens éclairés et que, peut-être, l'hier ne se reproduise pas demain".

La Fondation pour la mémoire de la déportation cherche à entrer en contact avec des descendants des déportés du convoi 927. Les témoignages peuvent être adressés à cette adresse : fmdcaen@yahoo.fr