logo

Avec plus de 210 homicides en 2019, la menace et l'impunité pèsent sur les défenseurs de la nature

Dans un rapport annuel publié mercredi 29 juillet, l'ONG Global Witness recense un nombre record d'homicides perpétrés dans le monde contre des militants défendant la nature et de l'environnement.

Peuples autochtones, militants écologistes ou simples fermiers voulant défendre leur exploitation... Au moins 212 défenseurs de l'environnement ont été tués en 2019, selon le rapport publié mercredi 29 juillet par l'ONG Global Witness, soit une moyenne de quatre meurtres par semaine. Des chiffres qui dépassent le précédent record de 2017, où 207 morts avaient été enregistrés. Toutefois, comme chaque année, le nombre réel de victimes "est probablement bien plus élevé, car beaucoup de cas ne sont pas enregistrés et font rarement l'objet d'enquête", souligne l'organisation britannique.

Une nouvelle fois, l'Amérique latine concentre à elle seule les deux tiers de ce décompte macabre. La situation se montre particulièrement inquiétante en Colombie, premier pays touché par ces meurtres avec 64 militants assassinés, soit plus du double observé en 2018. Et un record enregistré par l'ONG sur le sol colombien. Parmi ces meurtres, 14 étaient liés à la substitution illégale de cultures de coca, note encore Global Witness. "La Colombie reste profondément marquée par les conflits armés. Si le processus de paix a été engagé avec les Farc, des groupes paramilitaires tentent toujours de s'approprier des ressources dans les campagnes", explique au téléphone Marie-Émilie Forget, géographe et maîtresse de conférence à l'université de Savoie. 

Autre constat : les Philippines arrivent en deuxième position, avec 43 meurtres de défenseurs de l'environnement en 2019. La plupart ont été perpétrés dans les îles riches en ressources naturelles de Mindanao et Negros.

Une criminalisation des défenseurs de l'environnement 

La situation se dégrade également au Honduras. Le petit État d'Amérique centrale compte 14 assassinats en 2019, (contre 4 en 2018), ce qui en fait le pays le plus dangereux au monde pour les militants, si l'on rapporte ce bilan au nombre d'habitants. Enfin, le Brésil n'est pas épargné. Le géant d'Amérique latine enregistre 24 meurtres sur son sol, dont "90 % en Amazonie", précise le rapport. La plupart de ces victimes luttaient contre la déforestation entraînée notamment par des grands projets agricoles et miniers. "Non seulement, ces personnes ne reçoivent pas de soutien de l'État, mais en plus, elles sont criminalisées. En s'opposant par exemple à un projet minier, elles vont refuser de céder la concession à l'État et par ricochet, elles seront considérées à la limite du terrorisme", note la géographe.

Le développement des mines et ses conséquences sur l'environnement et la santé des familles vivant à proximité favorise un climat de tensions et de violences considérables. Tous pays confondus, une cinquantaine de militants ont ainsi été tués l'an dernier, en s'opposant à des projets miniers. L'agro-industrie arrive ensuite, avec 34 défenseurs assassinés, après avoir lutté contre l'installation d'exploitations d'huile de palme, de sucre ou de fruits tropicaux, notamment en Asie. 

Au total, plus d'un tiers des victimes (40 %) sont des membres de communautés autochtones ayant voulu défendre leurs cultures. Et ce, alors même qu'ils ne constituent que 5 % de la population mondiale. "Ces peuples indigènes revendiquent des terres qu'ils considèrent comme ancestrales, mais pour lesquelles ils n'ont pas toujours de droit de propriété. Il y a alors une lutte de pouvoir entre l'État et ces communautés qui n'ont que très peu de moyens pour faire entendre leurs voix au sein de leur pays. Leur combat est davantage connu à l'étranger, grâce au relais des ONG", remarque l'universitaire.

Avec plus de 210 homicides en 2019, la menace et l'impunité pèsent sur les défenseurs de la nature

Impunité des meurtriers

Outre ces peuples indigènes, les victimes de ces drames sont également de simples paysans tentant de protéger leur exploitation et leurs intérêts privés pour survivre. "Derrière l'expression de 'défenseur de l'environnement', on peut s'imaginer un militantisme écologiste. Or, il s'agit aussi de personnes défendant simplement leurs terres et leur droit à l'eau pour pouvoir vivre et se nourrir", nuance Marie-Émilie Forget. 

Au-delà du décompte, le rapport fait état d'une culture d'impunité généralisée envers les auteurs de ces assassinats. Triste constat : "89 % des meurtres de défenseurs n'aboutissent pas à une condamnation", rappelle Global Witness. Des pressions subies par les policiers pourraient, entre autres, entraver leur travail d'enquête. "[Au Brésil,] les forces de l'ordre sont mal payées, facilement corruptibles et souvent menacées ou intimidées", expliquait déjà à France 24, Hervé Théry, géographe.

Aussi cruels soient-ils, ces meurtres ne seraient que "la pointe émergée de l'iceberg", note le rapport qui condamne l'inaction, voire la complicité des États face aux menaces pesant sur les militants. "Des gouvernements et des entreprises utilisent des tactiques différentes, moins connues, pour réduire au silence les défenseurs de l'environnement, comme, par exemple, arrêter et emprisonner des activistes, ou introduire et changer des lois pour rendre illégales certaines formes de protestation". 

L'avenir pourra-t-il se dessiner autrement ? Rien n'est moins sûr. Car si dans le contexte d'une reconstruction d'un monde post-Covid plus vert, la protection des militants environnementaux est "vitale", l'ONG souligne au contraire une "intensification des problèmes". "Les gouvernements à travers la planète, des États-Unis au Brésil [en passant par] la Colombie et les Philippines, ont utilisé la crise pour durcir les mesures draconiennes pour contrôler les citoyens et revenir sur des règles environnementales durement acquises".