
À un peu plus d’un mois de la date officielle de lancement de la sonde émiratie Mars Hope, les Émirats arabes unis ont précisé, lundi, les contours et les enjeux de cette mission sans précédent dans le monde arabe.
Les Émirats arabes unis comptent débuter dans un peu plus d’un mois un long chemin de 493 millions de kilomètres pour entrer dans l’histoire de la conquête spatiale. Ils ont précisé, lundi 8 juin, les détails de Mars Hope, la première mission interplanétaire du monde arabe, dont le décollage est prévu pour le 14 juillet.
La sonde, entièrement "made in UAE" (pour United Arab Emirates), doit être lancée depuis la petite île japonaise de Tanegashima pour un voyage qui devrait lui permettre d’entrer dans l'orbite de Mars en février 2021, a précisé l’agence de presse Emirates News Agency. Elle observera ensuite la planète rouge pendant une année martienne, c’est-à-dire 687 jours.
Une histoire d’eau
À son bord, l’engin spatial transportera trois capteurs lui permettant d’étudier la dynamique de l’atmosphère martienne afin de mieux comprendre son climat. D’un point de vue scientifique, ce sera du jamais-vu pour une planète qui est pourtant régulièrement visitée par des sondes venues de la terre depuis la seconde moitié du XXe siècle. "Un grand nombre de missions se sont intéressées à la géologie de Mars ou à certains éléments de son atmosphère, mais ce sera la cartographie la plus complète jamais réalisée du climat de cette planète", reconnaît Ian Blatchford, directeur du Science museum de Londres, interrogé par la BBC.
Un travail susceptible aussi de retenir l’attention des climatologues s’intéressant à l’avenir de notre planète. L’un des objectifs de la mission émiratie est de comprendre comment et pourquoi l’oxygène et l’hydrogène - deux éléments essentiels à la formation de l’eau - ont disparu de Mars. La planète rouge a, en effet, eu des caractéristiques similaires à la Terre avec, probablement, des rivières, des océans et une atmosphère plus clémente il y a plusieurs milliards d’années. Comprendre où est partie l’eau martienne reste l’un des grands mystères, et le percer pourrait apporter des indices sur les facteurs contribuant à assécher une planète.
Ce n’est pas étonnant qu’un pays situé dans une zone du globe où l’accès à une eau toujours plus rare est un enjeu économique et géopolitique majeur, ait jeté son dévolu sur cet aspect de l’exploration martienne. "Pour nous, l’eau est la source de la vie, et il est pour le moins inquiétant de savoir qu’il existe une planète dans notre système solaire qui, lorsque le climat a commencé à changer, en a perdu toute trace", a affirmé Sarah al-Amiri, cheffe de projet adjointe du programme Emirates Mars, interrogée par le site Wired.
Plus d’espace, moins de pétrole
Mais Mars Hope n’est pas qu’une histoire d’eau. La mission n’est qu’un "moyen pour arriver à une fin qui est le futur du pays et notre survie", a assuré Omran Sharif, chef de projet de ce programme. Derrière cette affirmation aux accents un brin dramatique se cache l’ambition émiratie de faire de la course aux étoiles l’un des principaux outils de diversification de l’économie afin de la rendre moins dépendante du pétrole.
Dans la région, le pays est l’un des premiers à avoir investi le domaine spatial. Mars Hope est l’aboutissement d’un programme initié en 2014 avec la création de l’agence spatiale nationale. D’autres monarchies pétrolières ont suivi, mais plus tard, à l’image de l’Arabie saoudite qui n’a créé sa propre agence spatiale qu'en 2018.
L’espace a déjà coûté 5,4 milliards de dollars aux Émirats arabes unis. En contrepartie, ils ont pu lancer leur premier satellite entièrement fabriqué sur le territoire national en 2018, et l’année suivante un astronaute émirati a posé un pied sur la Station spatiale internationale. Des accomplissements qui "sont notables pour un pays qui n’existe que depuis une cinquantaine d’années et n’avait qu’une culture rudimentaire en ingénierie spatiale il y a quelques années", note The Guardian.
Sarah al-Amiri, également ministre des Sciences avancées et présidente du Conseil des scientifiques, espère que ces succès feront naître des vocations. "Aujourd’hui, notre économie est fondée sur les services, la logistique, le pétrole et le gaz, mais si on se projette dans l’avenir, on se rend compte que les secteurs qui demandent un savoir-faire technologique [comme l’aérospatiale, NDLR] deviennent de plus en plus importants", explique-t-elle au site Arab News. En d’autres termes, les autorités émiraties veulent que les jeunes intéressés par les métiers d’ingénieurs rêvent d’aller sur Mars depuis les Emirats plutôt que d’immigrer aux États-Unis, ou en Europe.
L’espace de plus en plus peuplé
C’est aussi une manière de s’acheter la paix sociale, suggère la scientifique. "Dans notre région, une majorité de la population a moins de 35 ans, et si vous n’arrivez pas à canaliser toute cette énergie correctement, cela peut entraîner des conflits", explique-t-elle à Wired.
En outre, "depuis la Guerre froide, la conquête de l’espace a toujours eu un aspect géopolitique, et c’est aussi le cas avec cette mission", assure Ahmad Bani Younes, directeur du laboratoire de recherches spatiales à l’université de San Diego en Californie, interrogé par Wired. Il y a, en effet, de plus en plus d’acteurs qui veulent casser le triumvirat des puissances spatiales historiques (États-Unis, Europe, Russie). La Chine, l’Inde, l’Indonésie ou encore l’Afrique du Sud ont démontré, avec leurs programmes spatiaux, qu’ils pouvaient mériter une place à la table des grands.
Dans le monde arabe, les EAU espèrent rester à la pointe de ce secteur de plus en plus concurrentiel. Mais d’autres pays, comme le Liban, l’Égypte et surtout l’Arabie saoudite comptent bien leur contester le leadership régional. Ainsi, Riyad a doté son agence spatiale d’un budget d’un milliard de dollars.
La réussite du lancement de la sonde pour Mars, prévue le 14 juillet, pourrait permettre aux Émirats arabes unis de garder une longueur d’avance sur leurs concurrents régionaux. Mais c’est loin d’être gagné. La pandémie de Covid-19 a considérablement compliqué la tâche des scientifiques émiratis. Ils ont, par exemple, dû être placés en quarantaine préventive à leur arrivée au Japon, et les nouvelles procédures sanitaires pour réduire le risque de contamination ont ralenti les préparatifs. Pour l’heure, l’agence spatiale émiratie assure que le calendrier pourra être tenu. S’ils y arrivent, ils devront alors s'atteler à leur autre pari : installer une colonie sur Mars en 2117.