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Une étude menée à Bergame a établi qu’il y avait eu, en deux mois, autant de cas d’une maladie infantile similaire au syndrome de Kawasaki dans cette ville italienne, que sur les cinq dernières années cumulées. Pour le médecin à l’origine de cette découverte, c’est la preuve du rôle du coronavirus dans cette “mystérieuse” recrudescence d’enfants gravement malades

Les cas se multiplient à travers le monde. À Marseille, un premier enfant présentant des symptômes proches de ceux du syndrome de Kawasaki, une très rare maladie inflammatoire infantile, est décédé vendredi 15 mai. Les États-Unis avaient mis en garde, la veille, contre un retour sur le devant de la scène de cette affection à la faveur de la pandémie de Covid-19. Au Royaume-Uni, où avaient été enregistrés les premiers cas, début avril, les hôpitaux suivent de très près l’évolution de la situation. Et à chaque fois, la même question : le nouveau coronavirus a-t-il causé la résurgence, dans une forme plus grave, d’une maladie diagnostiquée pour la première au Japon dans les années 1960 ? 

Lorenzo d’Antiga, directeur de l’unité pédiatrique de l’hôpital Papa Giovanni III de Bergame, croit détenir la réponse. Avec des collègues italiens, il a publié, mercredi 13 mai dans The Lancet, une étude qui constitue, à ses yeux, “la preuve la plus forte à ce jour” du lien entre le Covid-19 et le syndrome de Kawasaki.

Vingt enfants atteints en deux mois

C'est donc à Bergame, d’où est partie l’épidémie de coronavirus en Europe, qu'il a étudié les cas d’enfants présentant des symptômes de cette maladie inflammatoire tels que la conjonctivite, les lèvres sèches, des éruptions cutanées, ou encore une insuffisance cardiaque. Parce que cette ville italienne a été frappée très tôt et très fort par le virus, “elle est un observatoire privilégié pour étudier les différentes manifestations du Covid-19”, explique ce médecin, contacté par France 24. 

Et les résultats ont confirmé les soupçons : entre le 18 février et le 20 avril, “nous avons diagnostiqué 20 enfants présentant un tableau clinique rappelant cette maladie, soit autant en deux mois que sur les cinq dernières années”, résume Lorenzo d’Antiga. Qui plus est, la quasi-totalité de ces jeunes patients avaient développé des anticorps contre le Covid-19, ce qui signifie qu’ils avaient été contaminés.

Pour ce médecin, ces deux facteurs mis bout à bout - une explosion du nombre de cas par rapport à la normale, spécifiquement chez des enfants exposés au virus - confirme l’hypothèse que l’épidémie actuelle de coronavirus est à l’origine de la vague de cas constatés de formes sévères du syndrome de Kawasaki.

Kawasaki ou pas ?

Il soutient aussi qu’il s’agit bien de cette maladie rare et non pas d’une nouvelle maladie “mystérieuse” qui viendrait de faire son apparition, comme cela a pu être avancé dans plusieurs médias. “Les patients présentaient, dans la grande majorité des cas, tous les symptômes classiques associés au syndrome de Kawasaki, ce qui ne laisse guère de doute”, affirme Lorenzo d’Antiga.

Une assurance qui tranche avec la prudence affichée par les autorités sanitaires de la plupart des pays. Aux États-Unis, par exemple, le CDC (Centre de prévention des maladies) préfère évoquer “un syndrome multi-inflammatoire chez l’enfant”. Cette réticence tient au fait que cette maladie rare est encore mal comprise et qu’il “n’existe pas de test permettant d’effectuer un diagnostic définitif”, rappelle Alastair Sutcliffe, pédiatre à l’Institut de la santé de l’enfant à l’University College de Londres, contacté par France 24.

La sévérité des cas actuels laisse aussi planer le doute. Le syndrome de Kawasaki ne provoque généralement pas des complications aussi aiguës, potentiellement mortelles, reconnaît Lorenzo d’Antiga. Mais c’est, d’après lui, parce que le virus du Covid-19, “très agressif, provoque une forte réponse immunitaire qui fragilise le corps, ce qui permet une manifestation plus grave des symptômes”. Une autre hypothèse, avancée par Jon Cohen, spécialiste des maladies infectieuses et professeur émérite à l’école de médecine de Brighton et Sussex (Royaume-Uni), est que “la maladie de Kawasaki est d’habitude provoquée par des virus ou des bactéries plus communs auxquels le corps est déjà habitué, alors que cette fois-ci, il s’agit avec le Covid-19 complètement nouveau, ce qui peut expliquer la violence de la réaction”, souligne-t-il à France 24.

Un lien à prendre en compte par les pouvoirs publics

Cet expert britannique reconnaît, par ailleurs, que l’étude menée à Bergame établit bel et bien “une association entre le Covid-19 et le syndrome de Kawasaki”. Mais association ne signifie pas lien de cause à effet en sciences, précise-t-il. Pour cela, il faudrait “qu’au-delà de l’observation, certes convaincante, l’étude explique le mécanisme par lequel le coronavirus déclenche la maladie”, précise Alastair Sutcliffe.

Lorenzo d’Antiga reconnaît, dans l’article du Lancet, que des études supplémentaires permettraient de mieux comprendre le phénomène. Ce serait d’autant plus important, d’après le médecin italien, que le lien entre Covid-19 et syndrome de Kawasaki “devrait être pris en compte par les pouvoirs publics” à l’heure où des enfants reprennent le chemin de l’école dans le cadre des plans de déconfinement mis en place dans plusieurs pays européens.

Mais, attention à ne pas céder à la panique, avertissent les experts interrogés. “C’est une maladie trop rare pour justifier, à elle seule, de renoncer au déconfinement des enfants”, assure Jon Cohen. Elle ne toucherait qu’un jeune sur 1 000 exposés au coronavirus, d’après les estimations de Lorenzo d’Antiga.

En effet, le Covid-19 ne joue pas à la roulette russe avec les plus jeunes. Pour déclencher le syndrome de Kawasaki, “il faut que la personne ait une prédisposition, probablement génétique”, précise Lorenzo d’Antiga. Le coronavirus agit comme une clé qui, en déclenchant la réaction immunitaire, ouvre la porte libérant la maladie. En ce sens, la crise sanitaire actuelle pourrait permettre une percée scientifique : jusqu’à présent, les chercheurs n’avaient jamais identifié une de ces “clés”. Pour Lorenzo d’Antiga, ce pourrait être “l’occasion de mieux comprendre quelles sont ces prédispositions”.