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Derrière le licenciement de Ségolène Royal, la glaçante attraction des pôles

Ségolène Royal a annoncé, mardi, son "licenciement" du poste d'ambassadrice des pôles Arctique et Antarctique. L’occasion de se pencher sur les enjeux immenses de ces contrées en plein essor. 

Les déboires de Ségolène Royal, ambassadrice des pôles, limogée (ou sur le point de l’être) par le gouvernement, auront eu un avantage : attirer l’attention sur ces zones méconnues. "On aurait tout de même préféré qu’on s’y intéresse dans d’autres circonstances car les enjeux y sont colossaux", regrette Mikaa Mered, professeur de géopolitique des pôles Arctique et Antarctique à l’Institut libre d’étude des relations internationales (ILERI), interrogé par France 24. Ces zones de la planète presque entièrement constituées de glace sont en effet le théâtre d’enjeux climatiques, mais aussi économiques, militaires et diplomatiques.

L’Arctique, situé autour du pôle Nord, constitue un enjeu environnemental évident. Son territoire, tout comme l’Antarctique,au Sud, recouvre une zone qui régule en large partie notre climat. Le réchauffement climatique y est deux fois plus rapide qu’ailleurs. En trente ans, la banquise a perdu 30 % de sa surface. C'est comme si la France perdait deux fois sa superficie tous les ans. De nombreuses espèces y sont en outre menacées, dont l’emblématique ours polaire. Mais ce sont aussi près de 400 000 personnes qui ne peuvent plus maintenir leur mode de vie traditionnel.

La ruée vers l’Arctique

D'autres intérêts plus prosaïques encouragent les grandes puissances à s’y pencher d’un peu plus près. Ce territoire est particulièrement riche en énergies fossiles. On estime que l’Arctique possède 13 % des réserves mondiales non découvertes de pétrole, ce qui équivaut à trois ans de consommation mondiale et à 90 milliards de barils. La région abrite également 33 % des réserves de gaz naturel mondiales et 22 % des hydrocarbures qui se trouvent sur la planète. Certains métaux rares et précieux pourraient bien y abonder.

Contrairement au pôle Sud, une zone sans souveraineté où les exploitations minérales à des fins commerciales sont interdites, l'Arctique est, depuis 1996, régi par huit pays. Ainsi, le Canada, le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie, les États-Unis et la Suède se partagent 95 % des ressources en hydrocarbures. 

L’exploitation des sols de l’Arctique n’est pas nouvelle. On y extrait du pétrole depuis plus de cent ans, les premières mines existent, elles, depuis 150 ans. L’engouement pour cette région du globe n’a cessé de progresser au cours des dernières décennies. La faute au réchauffement climatique. La hausse des températures a rendu les conditions plus clémentes pour s’y installer et la fonte des glaces a permis l’ouverture de voies maritimes jusque-là inaccessibles. "Et plus l’Arctique se réchauffe, plus les activités économiques augmentent, souligne le chercheur français. Plus les activités économiques augmentent, plus le réchauffement climatique s’accélère. C’est le paradoxe des pôles."

Près de 200 entreprises françaises implantées en Arctique

La France n’est pas en reste dans cette course à l’Arctique. Elle détient pas moins de 200 entreprises – petites entreprises et grands groupes confondus – dans des secteurs aussi variés que l’énergie (gaz, énergie renouvelable, mines), le bâtiment, le tourisme, les télécoms, l’industrie spatiale, la défense ou encore le numérique. Ce dernier domaine est en plein essor dans la région. "En quelques années, le pôle Nord est devenu l’eldorado des data-centers", abonde Mikaa Mered. Une attractivité qui s’explique d’abord par son emplacement géographique : les liaisons sont plus courtes, donc plus rapides. Autre avantage : les ressources pour refroidir ces centres de données extrêmement énergivores sont toutes trouvées.

Le tourisme est l’autre secteur économique qui connaît un développement exponentiel. Le pôle Nord accueille chaque année plus de 75 000 touristes, un chiffre qui a doublé en moins de dix ans. Désormais les aventuriers les moins téméraires peuvent découvrir le Grand Nord à bord de luxueuses croisières. "De nombreux tour-opérateurs plus populaires comme Costa Croisières proposent également la découverte de l’Arctique dans leurs catalogues, note Mikaa Mered. Ce nouveau marché touristique apporte autant de devises que de problèmes environnementaux."

Haro sur les poissons

Le dérèglement climatique n’a pas épargné les poissons. Les courants marins plus chauds ont contraint la faune marine à remonter vers le Nord faisant de l’Arctique une zone de pêche particulièrement attractive. Son enjeu est tel qu’une instance a spécifiquement été créée pour réguler les pratiques. La très convoitée Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest (OPANO) rassemble toutes les économies tournées vers la pêche. La France en est membre – par le biais de Saint-Pierre-et -Miquelon –  aux côtés de onze autres heureux élus.

La région est aussi l’objet de vifs intérêts militaires. Sous-marins nucléaires américains, avions canadiens, centrale nucléaire russe, navires chinois... Chacun veut sa part militaire sur la banquise. Dans ce domaine, il semble que la Russie soit particulièrement active. Moscou procède régulièrement à des exercices militaires d'ampleur et a construit des bases pouvant fonctionner en autarcie. Dans vingt ans, Moscou estime qu’elle possèdera une centaine de brise-glaces. De quoi ouvrir de nouvelles routes commerciales dans le Grand Nord.

Une instance régit tout de même les velléités militaires les plus offensives. La table ronde des forces de sécurité (ASFR), initiée en 2011 par les États-Unis, est le siège d’importantes tractations stratégiques des grandes puissances, dont la France fait partie. Une instance à laquelle Ségolène Royal n’a pas jugé bon de se rendre, préférant alléger son bilan carbone. "C’est dommage, déplore Mikaa Mered, car ces instances sont aussi utiles d'un point de vue environnemental que stratégique. Il n’y a qu’à voir la longue liste des candidats prêts à en devenir membre pour s’en convaincre."