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Émeutes au Chili : les raisons de la colère

Après la mort d'au moins sept personnes lors d'affrontements ce week-end, le gouvernement chilien a étendu l'état d'urgence à de nombreuses villes du pays. Une flambée de violences que des spécialistes du Chili expliquent.

"Nous sommes en guerre contre un ennemi puissant, implacable", a déclaré dimanche 20 octobre le président chilien, Sebastian Piñera. Couvre-feu, état d’urgence, déploiement de militaires dans les villes, le Chili a brutalement basculé depuis trois jours dans un climat de violences. Après la mort d'au moins 11 personnes lors d'affrontements et d'incendies criminels, les autorités ont drastiquement durci le ton. Pourquoi la colère gronde-t-elle dans ce pays d’Amérique latine pourtant réputé calme ? Les raisons sont aussi multiples que profondes.

Le mouvement de contestation est parti des lycéens et des étudiants il y a deux semaines à Santiago avant de s'étendre à d’autres villes du pays en raison de la hausse du prix du titre de transport. Mais selon Franck Gaudichaud, politologue à l’université de Grenoble et spécialiste du Chili, les racines du mal sont plus profondes. "Il s’agit en fait d’un ras le bol accumulé sur un ensemble de mesures et de problèmes sociaux autour de la santé, des transports, de l’éducation ou des retraites, explique l’observateur à France 24. C’est aussi l’héritage maudit de la dictature Pinochet qui continue à peser sur le Chili."

"Un pays inégalitaire"

L’image d’un Chili paisible à l’économie néo-libérale stable s’est au fil du temps fissurée. Certes, le revenu annuel moyen par habitant au Chili, de plus de 20 000 dollars, est le plus élevé d'Amérique latine. Mais "c’est surtout le pays le plus inégalitaire de la région, oublie-t-on souvent de mentionner, révèle le spécialiste. Un Chilien sur deux vit avec moins de 480 euros par mois. Quand on sait que le prix d’un ticket de métro est d’un euro, on comprend à quel point il est compliqué de vivre au quotidien pour la moitié d’entre eux."

Et le système de retraites par capitalisation, très critiqué, n'offre le plus souvent qu'une retraite inférieure au salaire minimum d'environ 400 dollars. Sans compter un marché immobilier en surchauffe.

De graves fractures sociales, nourrissant depuis des années le mécontentement, que de nombreux analystes avaient prédit. "De l'extérieur, on ne pouvait voir que les réussites du Chili, mais à l'intérieur, il y a des niveaux élevés de fragmentation, de ségrégation et une jeunesse qui, même si elle n'a pas vécu la dictature, a cessé de voter il y a de nombreuses années. Elle en a eu marre et elle est sortie dans la rue pour montrer sa colère et sa déception", explique à l'AFP Lucia Dammert, professeure à l'université de Santiago du Chili.

"Les autorités ont jeté de l’huile sur le feu"

À cette colère, il faut ajouter la réponse du gouvernement qui a largement attisé les passions. En prenant des mesures disproportionnées, "les autorités ont jeté de l’huile sur le feu", poursuit Franck Gaudichaud. Le gouvernement de droite de Sebastian Piñera n’a pas compris les revendications de la population. […] Le couvre-feu est une mesure qui a très largement choqué la population chilienne, notamment celle qui a la mémoire de la dictature. Puisque c’est la première fois qu’il y a un recours à l’état d’urgence [depuis la dictature]".

Conséquence, le mouvement, parti de la jeunesse, s’est étendu à tous les secteurs et notamment aux classes moyennes, les plus touchées par les inégalités. Dans une société où l'intégration sociale se produit à travers la consommation, les gens ont besoin de consommer [...] et pour cela doivent s'endetter". Il faut dire que l'endettement est l'un des grands maux qui affectent les ménages chiliens. Selon une étude de l'université de Saint-Sébastien au Chili et d'Equifax, un adulte sur trois est incapable de faire face à son endettement avec ses ressources.

Ce sont aujourd’hui les membres de cette classe moyenne endettée qui ont rejoint cette révolte sans précédent.

Depuis, "beaucoup de demandes latentes n'ont pas eu de réponse. La tension s'est accumulée, la frustration s'est renforcée chaque jour dans la vie quotidienne", souligne Octavio Avendaño, sociologue et politologue à l'université du Chili.