Alors qu'Ankara a lancé une offensive contre les Kurdes dans le nord-est de la Syrie, le choc entre la France et la Turquie est au coeur du cyclone. Des politiques demandent son annulation après un salut militaire effectué par les joueurs turcs.
C’est un salut qui ne passe pas. Après avoir inscrit un but vendredi 11 octobre contre l’Albanie en match éliminatoires pour l’Euro-2020 de football, les joueurs de l'équipe nationale de Turquie ont célébré leur réalisation par un geste très militaire. Alors que leur pays a lancé une offensive contre des positions kurdes dans le nord-est de la Syrie, ce salut a été perçu comme un soutien à l’opération militaire décidé par le président Recep Tayyip Erdogan.
Après le match, une photo a également été postée sur le compte Twitter officiel de l'équipe nationale. On peut y voir les joueurs renouveller leur salut militaire avec un message indiquant qu'ils "ont dédié leur victoire à nos valeureux soldats ainsi qu'à nos militaires et concitoyens tombés en martyrs".
La photo publiée sur le compte officiel de l'équipe de Turquie
Ay-Yıldızlılar, galibiyeti kahraman Mehmetçiklerimizle şehit olan askerlerimiz ve vatandaşlarımıza armağan etti. ???????? pic.twitter.com/NNZKlnnWga
Milli Takımlar (@MilliTakimlar) 11 octobre 2019A quelques heures du match entre la France et la Turquie lundi soir au Stade de France, qualificatif pour l’Euro-2020, certains politiques se sont insurgés contre cette célébration et ont appelé à une annulation de la rencontre.
"On ne peut décemment accueillir demain au Stade de France ceux qui saluent le massacre de nos alliés Kurdes !", a notamment tweeté dimanche soir le président de l'UDI Jean-Christophe Lagarde. "Avec ce salut militaire, l'équipe de football turque a hélas brisé la frontière qui doit séparer le sport de la politique", a ajouté Jean-Christophe Lagarde, par ailleurs président du groupe d'études sur les Kurdes à l'Assemblée nationale et organisateur d'un rassemblement de soutien aux Kurdes mardi soir au Théâtre du Gymnase.
Le message de Jean-Christophe Lagarde
Avec ce salut militaire, l’équipe de football turque a hélas brisé la frontière qui doit séparer le sport de la politique. On ne peut décemment accueillir demain au Stade de France ceux qui saluent le massacre de nos alliés Kurdes ! #AnnulationMatchFranceTurquie pic.twitter.com/tjzRLYZsZL
Jean-Christophe Lagarde (@jclagarde) 13 octobre 2019Le député de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon a aussi protesté contre la tenue de ce match sur son compte Twitter : "Si les footballeurs turcs font des saluts militaires, ils doivent s'attendre à être traités comme les militaires d'une armée ennemie. On ne joue donc pas au foot contre eux. La base de l'esprit sportif n'est plus là !".
"Le football ne doit pas servir la propagande d'Erdogan", a abondé lundi l'eurodéputé et vice-président du Rassemblement national (RN) Jordan Bardella, qui souhaite aussi l'annulation du match. Il a jugé sur Twitter "impensable que des joueurs turcs fassent le salut militaire sur notre sol, ou que la Marseillaise soit encore sifflée ce soir", alors que des supporters turcs l'avaient pour partie sifflée en juin à Konya en Turquie lors du match aller.
Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national, a aussi demandé une annulation : "En servant de relai à la propagande d'Erdogan, dont les actions en Syrie préoccupent la communauté internationale, l'équipe de football turque a bafoué les valeurs du sport. Il est temps que l'UEFA sanctionne cette dérive politique de la fédération de football turque !", a-t-elle exhorté.
La précédente opposition entre les deux équipes sur le sol français, il y a dix ans à Lyon, avait fini dans la confusion, interrompue quelques minutes après des jets de projectiles et de fumigènes au stade Gerland.
La réaction de Jordan Bardella
Le football ne doit pas servir la propagande d'Erdogan : impensable que des joueurs turcs fassent le salut militaire sur notre sol, ou que la Marseillaise soit encore sifflée ce soir.
Le match France-Turquie au Stade de France doit être annulé !#AnnulationMatchFranceTurquie
Le député LR Eric Ciotti a de son côté appelé lundi sur LCI le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner à "prendre ses responsabilités", l'appelant à "suspendre" ce match, "pour des raisons de sécurité, compte tenu de la tension qui existe", alors que de nombreux supporters turcs sont attendus au Stade de France. Au-delà des politiques, des internautes ont aussi demandé l’annulation de ce choc à travers le #AnnulationMatchFranceTurquie.
Jean-Yves Le Drian renonce à assister au match
Le ministre des Relations avec le parlement Marc Fesneau a essayé de couper court à cette polémique sur Sud Radio en demandant à ce que ce match soit "une parenthèse sportive", et à "laisser le sport à l'abri des querelles internationales", tandis que le ministre turc des Sports et l'ambassadeur de Turquie avaient appelé dimanche à "l'amitié", à la "fraternité" et à la "courtoisie".
Interrogé à ce sujet, le sélectionneur de l’équipe de France Didier Deschamps a aussi évacué la question : "Les problèmes géopolitiques, ils sont là. Que cela ait des conséquences ? Forcément, sur l'environnement du match. Mais on ne va pas penser à cela". Tout comme son homologue turc. "Je ne veux pas que ces discussions prennent le pas sur le match, a précisé dimanche Senol Günes. Nous encourageons nos soldats, mais je suis contre toute sorte de violence."
Mais dans les tribunes, un siège sera bien vide. Alors qu’il avait initialement prévu d’assister à la rencontre, Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères a renoncé à se rendre au Stade de France, en raison de la situation dans le Nord-Est syrien, a annoncé le Quai d'Orsay. La ministre des Sports Roxana Maracineanu n’a pas non plus pour l’instant confirmé sa présence. Les ministres turcs des Sports et de la Justice, ainsi que l'ambassadeur à Paris, devraient pour leur part assister au match, selon une source diplomatique turque.
Un examen de l’UEFA
Un responsable de l'UEFA a en tout cas fait savoir que la confédération européenne de football allait "examiner" la célébration des joueurs de l'équipe de Turquie. "Personnellement, je n'ai pas vu ce geste, qui pourrait être assimilé à une provocation", a déclaré Philip Townsend, chef de presse de l'UEFA, interrogé par l'agence italienne Ansa. "Est-ce que le règlement interdit les références à la politique et à la religion ? Oui, et je peux vous garantir que nous allons examiner cette situation. Laissez-moi vérifier", a-t-il ajouté.
Avec AFP