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La violence, principal enjeu du procès des indépendantistes catalans

Le procès historique des indépendantistes catalans, jugés à Madrid pour rébellion prend fin mercredi après quatre mois de d'audience. Ils comparaissent pour avoir organisé le référendum sur l’indépendance de la Catalogne en octobre 2017.

À Barcelone, les indépendantistes catalans se mobilisent mercredi 12 juin pour soutenir ceux qu’ils présentent comme des "prisonniers politiques". Un écran géant sera installé devant l’Arc de Triomphe de la ville catalane pour suivre en direct la les déclarations finales des douze prévenus depuis le Tribunal suprême de Madrid. Une journée cruciale qui vient clore un procès historique qui les a tenus en haleine durant quatre mois.

Les douze prévenus sont jugés pour avoir organisé, le 1er octobre 2017, un référendum d'autodétermination, interdit par la justice, suivi le 27 du même mois par la proclamation d'une république indépendante par le parlement catalan. En détention provisoire comme huit autres, l’ex vice-président catalan Oriol Junqueras, également élu aux élections européennes, encourt jusqu'à 25 ans de prison pour rébellion et détournement de fonds publics. Il fait figure de principal accusé en l'absence de l'ancien président régional, Carles Puigdemont, qui a fui en Belgique où il échappe aux poursuites.

"Deux mondes polarisés"

"Le procès de la Cour suprême contre les dirigeants de l’indépendance s’achève tel qu’il a commencé : avec deux mondes polarisés. D'un côté, une défense dénonçant la poursuite d’une idéologie et, de l’autre, une accusation s’appuyant sur des lois alambiquées", note Antoni Puigverd, l’éditorialiste de La Vanguardia - quotidien catalan - pour illustrer les points de vue diamétralement opposés qui se sont affrontés.

Le parquet a accusé les prévenus d’avoir mené "une stratégie parfaitement planifiée pour fracturer l’ordre constitutionnel afin d’obtenir l’indépendance de la Catalogne de façon illégale", selon ses propres termes. Le procureur Javier Zaragoza n'a pas non plus hésité à qualifier les évènements de 2017 de "coup d'État" destiné à "liquider la Constitution espagnole", tout en soulignant un "climat d'insurrection" et de brutalité.

La violence, un terme controversé

Y a-t-il eu violence ? C’est bien là tout l’enjeu de ce que les Espagnols appellent le "procés" (prononcez "process"). Le délit de rébellion – pour lequel les prévenus sont poursuivis – implique, selon le Code pénal espagnol, un soulèvement par la violence et pour lequel ils encourent jusqu’à 25 ans de réclusion. "C’est un terme qui suscite la polémique et qui divise fortement les juristes", relève Mélina Huet, correspondante de France 24 en Espagne, qui a suivi le procès depuis Madrid. "Sur ce point, l’accusation se montre fracturée, poursuit-elle. Si le parquet a retenu ce terme, l’avocat général qui représente les intérêts de l’État, ne l’a pas conservé". Ce dernier a préféré parler de "sédition", qui est punie d'une amende et d'une peine d'inéligibilité de trois ans, mais pas de peine de prison.

La notion de violence a, en tous cas, été catégoriquement balayée par la défense. S'exprimant lors de l'avant-dernière audience du procès, l'avocat d'Oriol Junqueras et de l'ex-"ministre" catalan des Affaires étrangères Raul Romeva, Andreu Van den Eynde s'est attaché à démonter la thèse du parquet, en lui reprochant de "confondre la désobéissance avec la rébellion". Selon lui, la violence est surtout venue, le 1er octobre, des forces de l'ordre envoyées par le gouvernement espagnol pour empêcher la tenue du référendum. À l’époque, ces scènes avaient fait le tour du monde.

"Tout est exagération, tout est bruit" et cela "se manifeste dans le vocabulaire que j'ai noté tout au long du procès", a-t-il argué, en listant les mots employés par le parquet  tels que "barricades", "boucliers humains", "regards de haine" ou "dévastation"..."C'est le discours de l'accusation : parti pris et exagération et cela lui enlève toute crédibilité", a-t-il lancé. Les avocats des indépendantistes ont toutefois admis "un mouvement de désobéissance".

"Le procès est une attaque contre l'indépendance catalane"

Au-delà de la dimension sémantique, le procès a également pris une tournure politique. Dès le début du procès en février, Oriol Junqueras dénonçait le fait d’être "accusé pour [s]es idées et pas pour [s]es actes", fustigeant un procès "politique" contre un mouvement indépendantiste "pacifique". Le procès est une attaque contre l'indépendance, la "dissidence" : "Une idéologie est poursuivie", a surenchéri Van den Eynde avant d'ajouter : "le procès va statuer si le Code pénal peut s'appliquer à la dissidence politique".

Plus d'un an et demi après la tentative de sécession, la Catalogne est toujours gouvernée par les indépendantistes et profondément divisée. La question catalane reste centrale dans les débats politiques qui agitent l'Espagne. "Nous en sommes exactement au même point. (...) Il semble que le procès a renforcé les positions de tout le monde", estime auprès de l'AFP Oriol Bartomeus, professeur de sciences politiques à l'Université autonome de Barcelone. Le jugement est attendu pour l'automne.