
Alors que les Kazakhs votaient dimanche pour un scrutin anticipé sans l'historique autocrate Noursoultan Nazarbaïev, une première depuis 1990, de centaines de manifestants ont été arrêtés. Son dauphin est quasi assuré de l'emporter.
Près de 10 millions d'électeurs étaient appelés dans les bureaux de vote au Kazakhstan dimanche 9 juin pour un scrutin présidentiel anticipé inédit. Il s'agissait de la première élection sans Noursoultan Nazarbaïev, au pouvoir depuis 29 ans et démissionnaire à la surprise générale en mars 2019.
Les derniers bureaux de vote ont fermé à 15h GMT (21h heure locale, 17h heure de Paris) dans cet immense pays d'Asie centrale et le taux de participation est de 77%, selon la commission électorale centrale.
L'absence de Noursoultan Nazarbaïev à cette élection ne signifie pas que le suspense sera de mise : son successeur désigné, le président par intérim Kassym-Jomart Tokaïev, est quasi-assuré de l'emporter face à des candidats pour la plupart inconnus, surtout après avoir reçu le soutien du parti au pouvoir et de l'ancien président, qui conserve un rôle clé dans le système politique. Il a pu compter sur le soutien de nombreuses célébrités et sur les ressources de l'État, mises à sa disposition pour sa campagne.

Kassym-Jomart Tokaïev affronte ainsi six adversaires, mais aucun d'entre eux n'est connu du grand public et un seul peut être considéré comme un réel opposant. Difficile pourtant de faire aussi bien que l'ancien président kazakh, élu une première fois en 1991 puis réélu à quatre reprises avec des scores dépassant les 80%.
Selon l'un des deux organismes de sondages autorisés à fonctionner, le candidat de Nazarbaïev était crédité de près de 73% des voix.
Scrutin marqué par des manifestations
Depuis la démission de Noursoultan Nazarbaïev, le Kazakhstan est traversé par une agitation sociale rare, qui a marqué la campagne électorale avec les plus importantes manifestations que cette ancienne république soviétique ait connues en trois ans. Les protestataires ont appelé au boycott de ce qu'ils dénoncent comme une élection truquée, provoquant une réponse sévère des autorités qui ont intensifié la répression contre les médias et les opposants dans les semaines précédant le vote.
L'opposant le plus virulent au régime, l'ancien banquier en exil Moukhtar Abliazov, avait appelé à des manifestations dimanche. Un appel qui semble avoir été entendu le jour du scrutin.
Dans les deux principales villes kazakhes, la capitale Nur-Sultan (anciennement appelée Astana) et Almaty, des journalistes de l'AFP ont été témoins de plusieurs centaines d'arrestations. Un correspondant de cette même agence a été conduit à un poste de police avant d'être libéré tandis qu'un reporter vidéo de l'AFP a vu ses équipements confisqués.
Environ 500 personnes arrêtées, selon les autorités, dont des journalistes selon l’AFP
"Environ 500 personnes ont été transférées dans les commissariats de police de Nur-Sultan et d'Almaty", a déclaré dimanche à la presse le vice-ministre de l'Intérieur Marat Kojaïev, qui en a rejeté la faute sur des "éléments radicaux" ayant organisé des "manifestations non autorisées".
Deux journalistes de Radio Free Europe/Radio Liberty, un média financé par les Etats-Unis, ont notamment été brièvement détenus par la police à Almaty (sud) et Nur-Sultan, où un représentant de l'ONG Comité d'Helsinki a subi le même sort.
"Honte ! Honte ! Honte !" ou encore "La police de notre côté !", criaient certains manifestants à Almaty avant que les forces de l'ordre ne dispersent le rassemblement.
Tokaïev, homme fort du système Nazarbaïev
"Je vais voter pour lui parce que je ne connais pas les autres", explique à l'AFP Assya, 25 ans, qui travaille pour une compagnie de production privée. "Un jour, un politicien plus fort émergera et remplacera le clan de Nazarbaïev, et cette personne aura aussi mon vote", affirme Timour, un chauffeur de taxi de 43 ans.
Le seul véritable opposant de Kassym-Jomart Tokaïev participant à l'élection est un journaliste, Amirzhan Kossanov, mais il a été très critiqué pour avoir mené une campagne atone, au cours de laquelle il ne s'en est jamais réellement pris au parti de Noursoultan Nazarbaïev et Kassym-Jomart Tokaïev.
Ce dernier a occupé de nombreuses postes clés du système kazakh : deux fois ministre des Affaires étrangères, il a aussi été Premier ministre au tournant des années 2000 et directeur général de l'Office des Nations unies à Genève de 2011 à 2013, devenant le premier Kazakh à occuper un poste aussi élevé dans une organisation internationale.
Il était président du Sénat quand Noursoultan Nazarbaïev a annoncé sa démission. Ce qui lui a valu, conformément à la Constitution, d'assurer l'intérim à la tête de l'État.
La transition est une "illusion"
Dans un communiqué, l'ONG Human Right Watch (HRW) a expliqué que l'idée d'une transition politique était "une illusion" et mis en lumière la poursuite de violations des droits de l'Homme sous la présidence de Kassym-Jomart Tokaïev.
"Les autorités kazakhes interrompent de façon routinière aux protestations pacifiques, raflent de force les participants – leur attachant parfois les mains et les pieds – et les sanctionnent avec des amendes et des courtes peines d'emprisonnement", dénonce l'ONG.
Avec AFP