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"C’est trop !" : la mort d’un jeune joueur relance le débat sur la dangerosité du rugby

Le décès de Nicolas Chauvin, jeune joueur du Stade Français, à la suite d'un plaquage reçu en plein match, est venu réalimenter le débat sur la violence accrue du rugby, quatre mois après la mort de Louis Fajfrowski, lui aussi après un plaquage.

"C'est trop !" La ministre française des Sports, Roxana Maracineanu, a estimé, jeudi 13 décembre, que la mort du jeune joueur du Stade Français Nicolas Chauvin devait amener la Fédération française de rugby (FFR) à "se poser vraiment des questions". En cause : la violence des contacts dans un sport où les joueurs ont des gabarits de plus en plus imposants.

Nicolas Chauvin, âgé de 19 ans, est décédé mercredi soir au CHU Pellegrin de Bordeaux, où il était en réanimation après avoir reçu un plaquage lors du match dimanche entre les équipes Espoirs du Stade Français et de Bègles-Bordeaux. Le choc violent a entraîné une fracture de la deuxième vertèbre cervicale, laquelle a, selon le communiqué du Stade Français, "occasionné un arrêt cardiaque et une anoxie cérébrale".

Je suis très fier d’avoir pu rencontrer et entraîner un garçon comme toi. Je ne t’oublierai jamais Nico.
Ton étoile sera présente et scintillera tous les soirs de match au dessus de Jean Bouin.
Très fortes pensées à tes parents et tes frères. pic.twitter.com/LCnrnhVz7f

  Papé Pascal (@PascalPape) 13 décembre 2018

Le 11 août, le jeune joueur d'Aurillac Louis Fajfrowski était également mort, à 21 ans, des suites d'un plaquage, lors d'un match de pré-saison contre Rodez. Le 20 mai, c’est un joueur amateur de 17 ans, Adrien Descrulhes, qui était retrouvé mort dans son lit au lendemain d’un match où il avait subi un traumatisme crânien.

"Plus personne ne peut faire comme s’il y avait un doute. Le rugby tue. En sept mois, trois jeunes joueurs sont morts en France après un match, écrit le journal L’Équipe dans un éditorial consacré à la mort de Nicolas Chauvin. Il y a urgence, pour tous les acteurs de ce sport, à considérer ce que l’on voit sur les terrains aujourd’hui comme un excès grave, dangereux, potentiellement mortel."

Triste d’apprendre le décès de Nicolas Chauvin, jeune joueur de rugby du @SFParisRugby, sur un terrain. Trop de violence, trop de coups, trop de traumatismes, trop de chocs. Revenons aux bases de ce sport où il est insupportable de penser que l’on peut y laisser sa vie.

  Jerome Fillol (@JeromeFillol) 12 décembre 2018

"Trop de violence, trop de coups, trop de traumatismes, trop de chocs. Revenons aux bases de ce sport où il est insupportable de penser que l'on peut y laisser sa vie", a écrit mercredi soir sur son compte Twitter l'ancien joueur et champion de France Jérôme Fillol, résumant le sentiment général chez les acteurs et suiveurs du rugby.

"J’ai eu un gros moment de flippe"

De fait, l'année 2018 avait débuté par les images saisissantes du KO reçu par le jeune joueur de Clermont Samuel Ezeala, victime d'une commotion cérébrale le 7 janvier. Il s’agissait de son premier match professionnel en Top 14 contre le Racing 92, à 18 ans. Les images de ce choc et des draps tendus par le personnel médical pour cacher les détails de l'intervention avaient largement impressionné. Et déclenché une prise de conscience dans le milieu de l’Ovalie.

En juillet, le capitaine du pays de Galles, Sam Warburton, a ainsi décidé de raccrocher les crampons, le corps meurtri par les blessures à répétition. Quelques semaines plus tard, le troisième ligne Sud-Africain de Brive, Petrus Hauman, annonçait mettre un terme prématurément à sa carrière, à 31 ans, après avoir subi en avril un troisième KO en une saison.

Mettre volontairement fin à sa carrière ne datent cependant pas d’hier. Ancien joueur du Provence Rugby et actuel entraîneur du club amateur du Stade domontois, Alexis Driollet a dit stop à la pratique du rugby professionnel dès 2016. En septembre, il en expliquait les raisons à France 24 : la répétition des commotions cérébrales. C’est son dernier choc subi lors d’un match à Bourgoin qui l’a alerté : "J’étais vraiment KO, je me sentais dissocié de mon corps, ce n’était vraiment pas une sensation agréable, et sachant que j’avais beaucoup de commotions, j’ai eu un gros moment de flippe. Quand je pense à ces mecs qui font plein de commotions et qui continuent…"

Avec l'arrivée du professionnalisme en 1995, le nombre de matches, le temps de jeu effectif et les gabarits ont augmenté. La pratique a aussi évolué : sport de contacts, le rugby laisse désormais moins la place à l'évitement pour privilégier le défi frontal. "Ça tape fort, c’est devenu un sport de bourrins, regrette Alexis Driollet. Le professionnalisme a fait que les joueurs s’entraînent plus longtemps et de manière plus qualitative. Et, forcément, les physiques deviennent de plus en plus solides. Les collisions sont plus fortes parce que les mecs vont plus vite et sont plus lourds."

"Il faut revenir sur l’essence de notre sport"

Devant l’accumulation des accidents, les instances dirigeantes se sont décidés à prendre le problème à bras le corps. En mars, l'Observatoire Médical du Rugby avait ainsi émis 45 préconisations pour préserver la santé des joueurs, de l'école de rugby au monde professionnel. Quatre d'entre elles sont appliquées cette saison en Top 14 et en Pro D2 où, par ailleurs, les commotions cérébrales sont de mieux en mieux détectées et traitées.

En parallèle, la FFR, confrontée à une baisse du nombre de licenciés (-5,5 % entre 2017 et 2018), a présenté en juin un "plan national de prévention des risques" intitulé "Rugby bien joué". Sa mesure phare : le "toucher deux secondes", vise à encourager l'évitement au détriment du contact. Enfin, World Rugby, la Fédération internationale, a expérimenté l'été dernier, lors d'une compétition des moins de 20 ans, l'interdiction de plaquer sous la ligne des épaules, règle actuellement en vigueur.

Mais pour beaucoup, anciens joueurs, journalistes sportifs ou simples amateurs du ballon ovale, le rugby doit retrouver une approche basée sur l'évitement et la prise d'intervalle, pour éviter de nouveaux drames. "Il faut revenir sur l’essence de notre sport", concédait le directeur national technique de la FFR, Didier Retière, interrogé en septembre par France 24. On doit s’inspirer de l’état d’esprit qui est porté par les équipes féminines, qui sont axées sur la prise d’initiatives, sur un jeu fait de mouvements et de vitesse. Le rugby a surfé sur ce côté gladiateur au gabarit extraordinaire. Ça va être compliqué mais inévitable de revenir en arrière et de retrouver les actions de passe et de course".

Avec AFP

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