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Les Miss France et le poids : une omerta qui perdure en 2018

Si l'on ne connaît pas encore le visage de la future Miss France, sa silhouette ne sera certainement pas une surprise. Décryptage de ce qui modèle le corps de "la plus belle femme de France".

Le 15 décembre, une nouvelle jeune française sera couronnée Miss France de l’année 2019. Pour la 89e année consécutive, le concours de beauté le plus célèbre de l’hexagone élira "la plus belle femme de France" devant plusieurs millions de téléspectateurs (7 millions lors de l’édition précédente). Pourtant, l’heureuse élue reste encore très éloignée du physique de la femme française.

Un règlement strict, mais qui ne mentionne pas le poids

Pour devenir Miss France, plusieurs critères très précis sont à respecter. Les candidates doivent avoir entre 18 et 24 ans, être françaises de naissance (ou naturalisées) célibataires, ni veuves ni pacsées, sans enfant. Côté physique, elles doivent mesurer au minimum 1m70, ne pas avoir eu recours à la chirurgie esthétique, ne pas avoir de tatouage visible, de piercing, perruque, faux-cils ou autre "artifice tendant à transformer son aspect naturel", comme il est inscrit dans le règlement officiel. Si la liste des recommandations s’étend sur plusieurs pages, un critère important n’est jamais mentionné : le poids minimum ou maximum des futures Miss.

"Si le critère n'existe pas, c'est sans doute qu'il n'y a aucune justification socialement acceptable par les personnes qui organisent les concours", suggère à France 24 Découvertes Camille Couvry, enseignante et chercheuse au Laboratoire des Dynamiques Sociales de l’Université de Rouen. Une absence qui aurait pu être saluée, si les Miss ne faisaient pas toutes un poids plume, largement en dessous de l’IMC de la française moyenne comme le rapportait La Voix du Nord dans un article daté de décembre 2017. "Cela n'empêche pas les personnes qui sont engagées dans des concours – et une partie au moins de celles qui les regardent – de considérer qu'avoir un poids 'moyen' (relatif à la taille minimale de 1m70) est un critère de beauté et d'élégance", ajoute Camille Couvry.

À qui la faute ?

Une ancienne candidate, qui avait quitté l’aventure Miss France en plein voyage préparatoire car elle n’était "pas en accord" avec l’esprit du concours, explique le processus par lequel elle est passée. "Il y a des différences entre les régions mais il est clair qu’en envoyant des photos de soi, on donne déjà une indication de ses mensurations", dit-elle avant de préciser que lors des sélections, "ce ne sont pas seulement les comités qui votent, mais aussi le public, à 50 - 50. Si les gens votaient pour d’autres physiques, ça changerait peut-être".

Pour elle, cette omerta vient donc d'une responsabilité collective. Idée que partage Camille Couvry, qui nous rappelle que "les processus de sélection dans les concours ne sont pas extérieurs à la société dans laquelle ils s'insèrent. Les jurés, tout comme les candidates qui évaluent leurs chances – et peuvent parfois s'auto-éliminer – sont évidemment influencés." Influencés par les réseaux sociaux, les arts, la publicité... En bref, tout ce qui ce qui prône l'idéal d'un corps féminin fin et élancé joue un rôle dans cette injonction à la minceur. 

Enfin, la candidate, qui souhaite rester anonyme, se souvient à propos de son expérience au sein de Miss France : "Il n’y a pas de régime imposé mais une observation de comment on se nourrit, ce que l’on choisit au buffet de l’hôtel par les chaperons. Si l’on se ressert plusieurs fois, ça va être remarqué". Une loi du silence qui règne jusque dans les comportements des participantes, au sein même de la compétition. Contacté par France 24 Découvertes à plusieurs reprises, le Comité Miss France n'a pour le moment pas donné suite à nos questions.

Discours engagés et défilé en bikini 

Certes, les jeunes prétendantes au titre de Miss sont, à certains moments de l'émission, mises en valeur autrement que physiquement. Lors de leurs discours par exemple, ou des courts portraits réalisés par la production. Mais s'en suivra le traditionnel défilé en bikini, exercice très paradoxal puisqu'il consiste à juger les candidates exclusivement sur leurs corps. 

À titre de comparaison, le concours Miss America avait annoncé en juin dernier que ce défilé en maillot de bain ne figurerait dorénavant plus dans leur compétition. Sylvie Tellier, directrice de l'organisation Miss France, avait quant à elle indiqué que la France ne suivrait pas cette décision, puisque ledit exercice fait "partie de la magie Miss France".

"Il y a eu dans l'histoire des élections de Miss, et plus largement de la beauté, un souci de la mesure du corps et des critères de beauté", ajoute Camille Couvry. Des propos qui font écho à ceux des chercheuses Anne Monjaret et Frederica Tamarozzi dans l'article "Pas de demi-mesure pour les Miss : la beauté en ses critères", publié dans  la revue "Ethnologie Française" : "Il faut voir dans ce diktat de la minceur l’influence d’une mode qui trouvait en Poirier et Coco Chanel ses créateurs, et dans les stars et les femmes du 'beau monde', ses égéries".

Certains milieux responsables en partie de ce culte de la minceur commencent pourtant à faire des efforts : Mattel, maison-mère de Barbie, propose depuis 2016 une poupée "plus size" aux mensurations plus généreuses que l'originale. En 2017, deux grands groupes de luxe français LVMH et Kering ont signé une charte les engageant à ne plus faire défiler de mannequin de taille 32. De petits pas en avant, mais des avancées quand même.

Pourra-t-on voir un jour une femme aux proportions plus réalistes être élue Miss France ? "Oui, c'est envisageable", affirme l'ancienne candidate anonyme. "C'est l'inconscient collectif qui valide des normes de beauté. Si les gens votaient pour d’autres physiques, ça pourrait changer". De son côté, Camille Couvry pense que "le changement pourrait venir du bas". "J'ai déjà assisté à des concours locaux qui avaient éliminé le défilé en maillot de bain lors d'une ou deux éditions", nous raconte-t-elle. Affaire à suivre, donc.

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