La lutte contre la fraude fiscale passera aussi par Instagram, Facebook et Twitter dès 2019, a indiqué dimanche le ministre du Budget, Gérald Darmanin. Ce dispositif rappelle un ambitieux programme britannique, efficace mais controversé.
Photos de vacances aux Seychelles sur Instagram, images de voiture de sport sur Facebook ou encore tweets géolocalisés dans des paradis fiscaux connus : le fisc s’intéresse aux traces numériques des contribuables. Le ministre du Budget Gérald Darmanin a confirmé, dimanche 11 novembre, que l’administration fiscale testera, à partir de début 2019, la surveillance des réseaux sociaux afin de débusquer des incohérences entre les éléments postés sur les comptes des contribuables et les revenus déclarés par ceux-ci.
Invité de l’émission Capital sur M6, le ministre n’est pas entré dans le détail de cette “expérimentation” à venir, qui viendrait compléter les mesures votées dans le cadre de la loi du 24 octobre pour lutter contre la fraude fiscale. Gérald Darmanin a indiqué qu’il comptait commencer les tests en parallèle à la mise en place de la nouvelle “police fiscale“, l’an prochain.
Actuellement, les enquêteurs du fisc fouillent déjà ponctuellement les réseaux sociaux pour se faire une idée plus précise du profil d’un contribuable soupçonné de fraude fiscale. “Rien ne leur interdit de faire des vérifications en ligne, et ils le font”, confirme Antoine Colonna d’Istria, spécialiste du droit fiscal et associé au cabinet d’avocats Norton Rose Fulbright, contacté par France 24.
Une photo n’est pas une preuve
Il en irait tout autrement si cette surveillance des réseaux sociaux à des fins fiscales venait à être systématisée. L’administration se mettrait alors à traquer activement les signes extérieurs de richesse postés sur Instagram & co. par des internautes qui n’ont pas les moyens de se les offrir, d’après leurs déclarations fiscales.
Les contribuables ne pourraient, cependant, pas subir un redressement fiscal sur la simple foi d’une photo sur Instagram au volant d’un bolide de luxe, même si, comme l’a souligné Gérald Darmanin, les autorités “constatent que vous vous faites prendre en photo de nombreuses fois avec une telle voiture”. “Les juges, en France, se montrent très restrictifs pour admettre une preuve directement venue d’Internet”, souligne Antoine Colonna. Cet expert rappelle qu’un cliché peut facilement être photoshopé, que les internautes ont tendance “à affabuler en ligne” et qu’une photo n’est pas un acte de propriété.
La surveillance des réseaux sociaux servirait plutôt à mettre le fisc sur la piste et, le cas échéant, déclencher une enquête de terrain plus approfondie. Les photos potentiellement incriminantes devraient venir des comptes publics des contribuables sur les réseaux sociaux. “Les règles de protection de la vie privée en ligne empêchent de consulter le contenu de comptes privés sur Twitter ou Facebook sans une autorisation du juge”, note l’avocat.
La redoutable efficacité du système britannique
Le dispositif envisagé n’est pas propre à la France. D’autres pays, comme le Canada, l’Inde ou l’Australie ont commencé à déplacer, en partie, la bataille contre les fraudeurs sur le terrain des réseaux sociaux. Leur modèle à tous vient du Royaume-Uni qui a introduit, en 2008, Connect, un système qui collecte, analyse et centralise des données sur les contribuables pour dénicher des indices de fraude. Depuis sa création, ce dispositif a permis au Trésor britannique de collecter 3 milliards de livres sterling (3,44 milliards d’euros) de recettes fiscales, d’après l’Institut britannique des comptables financiers.
Un bilan qui doit faire des envieux à Bercy. Mais pour atteindre un tel résultat, Gérald Darmanin doit être prêt à aller bien plus loin qu’une traque sur Instagram, Facebook et Twitter. Au fil des ans, Connect a eu accès à un nombre croissant de sources. Il peut obtenir l’historique des ventes sur eBay d’un contribuable, peut consulter – avec l’accord des compagnies aériennes – les billets d’avion pour vérifier si une personne semble voyager au-dessus de ses moyens. En 2015, ce programme avait à sa disposition “plus d’un milliard de données en provenance d’une trentaine de sources”, concluait le BDO, un cabinet d’audit fiscal, dans un rapport sur le passage au numérique des services fiscaux britanniques.
Grâce à ce dispositif, des “enquêtes qui auraient duré des semaines, voire des mois auparavant, peuvent être bouclées en une seule journée”, se réjouit l’Institut britannique des comptables financiers.
Mais un tel résultat à un coût. Le Royaume-Uni a dépensé près de 100 millions d’euros pour mettre Connect au point. La collecte est effectuée par un algorithme, épaulé par une équipe de 150 personnes spécialement formées pour analyser ces données. “Ce sont des armes intéressantes pour lutter contre la fraude fiscale, mais encore faut-il trouver et payer, en France, des gens qui savent s’en servir”, note Antoine Colonna d’Istria.
Il faut aussi accepter de laisser un programme surveiller autant de pans de la vie des contribuables. Même si la plupart des données sont publiques et que Connect a obtenu des sites comme eBay un droit d’accès, “c’est s’aventurer sur une pente glissante pour la protection de la vie privée”, estime Antoine Colonna d’Istria.