
Paris "n’hésitera pas à prendre des sanctions internationales contre les coupables" du meurtre de Jamal Khashoggi. La présidence élude cependant toute question sur les ventes d’armes à l’Arabie saoudite. Retour sur une prudence élyséenne.
L’Élysée, jusqu’ici plutôt discret sur l’affaire Khashoggi, dit qu’il "n’hésitera pas à prendre, en lien avec ses partenaires, des sanctions internationales contre les coupables" du meurtre du journaliste saoudien début octobre à Istanbul. Lors d’un entretien téléphonique avec le roi Salmane, mercredi 24 octobre, Emmanuel Macron "a fait part de sa profonde indignation face à ce crime et demandé au roi que toute la lumière soit faite sur les circonstances ayant conduit à ce drame", écrit l'Élysée dans un communiqué. Le président "a rappelé la priorité essentielle que constituait pour la France la défense de la liberté d'expression, de la liberté de presse et des libertés publiques", poursuit le palais présidentiel.
Paris n’évoque toutefois aucune réprimande concrète, à la différence de Washington, qui a révoqué les visas de 21 Saoudiens impliqués dans l'opération, et de Londres, qui a annoncé à son tour l'annulation des visas éventuellement détenus par les suspects.
Le sujet est pour le moins épineux. Emmanuel Macron avait préféré botter en touche, lorsque plusieurs journalistes l’avaient interrogé sur un éventuel gel des ventes d’armes à l’Arabie saoudite.
Le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, avait renchéri de son côté : "Si les faits sont avérés, si nos services les corroborent, nous prendrons les sanctions adéquates à l'endroit des autorités saoudiennes", évoquant des "sanctions commerciales" qui ne toucheraient "pas seulement les armes".
Critiques feutrées
À Paris, un haut diplomate français reconnaît en privé être "quand même assez emmerdé" par l'affaire Khashoggi. Il confie à Reuters : "Plus ça va et moins il y a de doutes sur ce qui s'est passé. On n'a jamais imaginé que l'Arabie saoudite était la patrie des droits de l'Homme mais là c'est très grave, on ne peut pas l'ignorer (...) mais il faut être prudent."
La prudence est donc de mise à l’Élysée, comme elle prévalait déjà dans les termes choisis par Emmanuel Macron sur France 24 et RFI, mi-octobre. Le président français avait alors estimé les faits "très graves" et disait attendre "que la vérité et la clarté soient établies".
Emmanuel Macron défendait également la "politique extrêmement rigoureuse" de la France en matière de contrôle des exportations de matériel de guerre. "Nous ne faisons pas partie des fournisseurs sur ces matières-là de l'Arabie saoudite", avait-il affirmé à propos du conflit au Yémen. Il ajoutait : "Maintenant, il faut être clair, nous avons avec l'Arabie saoudite et les Émirats arabes un partenariat de confiance dans la région qui n'est pas commercial mais stratégique".
Le chef de l’État avait enfin précisé que pour la France, "l’Arabie saoudite n’est pas un grand client".
"On a signé des traités sur les crimes de guerre qu’on ne respecte pas"
"Pas un grand client de la France" ? Riyad a pourtant été le deuxième acheteur d'armements français entre 2008 et 2017, selon un rapport parlementaire. En revanche, la France n'est pas un grand client de la famille Saoud, puisqu'elle se situe à la huitième place dans la liste des fournisseurs militaires à l'Arabie saoudite, loin derrière les États-Unis et le Royaume-Uni. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir tenté de se positionner, notamment lors de la visite officielle du prince héritier Mohammed Ben Salmane en avril.
Une stratégie qui alarme les ONG sur les conséquences de ces ventes d'armes à l'Arabie saoudite, notamment au Yémen. "On n’a pas de preuve, pas de photo, attestant de la présence de matériel militaire français au Yémen", rapporte la journaliste Anne Poiret, réalisatrice du documentaire "Mon pays fabrique des armes" diffusé sur France 5. Quand les médias, les ONG et même l’opposition parlementaire cherchent à connaître la position de Paris sur la question, le ministère des Affaires étrangères affirme que les livraisons ont été mises en pause à l’automne 2016, selon RFI.
Pourtant, de nombreux contrats ont été signés depuis. Amnesty International et l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) alertent régulièrement sur cette situation qui s’apparente à une complicité de crime de guerre.
Le débat sur la vente d’armes à Riyad est toujours éludé en France, regrette Anne Poiret. "Les contrats continuent d’être signés et les livraisons se poursuivent. Au Quai d’Orsay, on s’inquiète : on a signé des traités sur les crimes de guerre qu’on ne respecte pas", rapporte la journaliste sur France 24.
En avril dernier, l’Élysée mettait en avant une "vision commune" avec le royaume saoudien. Elle est désormais troublée, au moins en surface, par l’affaire Khashoggi.