
Chez un antiquaire londonien, une journaliste de France 24 a retrouvé un bracelet d'identification d'un Poilu, dont elle a reconstitué le parcours. Condamné comme "souteneur", puis pour désertion, il est finalement devenu un héros de guerre.
C’est plus fort que moi. Depuis le début de mon travail sur le centenaire de 14-18, je ne peux pas m’empêcher de chercher des traces de la Première Guerre mondiale un peu partout. En vacances cet été à Londres, mes pas me guident tout naturellement chez un antiquaire militaire. Dans sa boutique, mon regard est tout de suite attiré par un bracelet en métal : une plaque d’identification qui était portée au poignet par les soldats français durant la guerre. Sur celle-ci, à l’avant, je découvre un nom, Louis Duroure, un numéro, 1205, et à l’arrière, le nom de la ville de Quimper.
Surprise! J'y ai trouvé un bracelet d'identification militaire d'un soldat français ????????! Un certain Louis Duroure! pic.twitter.com/SBfUOhhtla
Stéphanie Trouillard (@Stbslam) 17 août 2018Piquée par la curiosité, je me décide à acquérir cet objet. Sitôt rentrée, je me précipite sur Internet pour en savoir plus sur ce Breton. En quelques clics, je retrouve sa fiche militaire sur le site des archives du Finistère. On y apprend que Louis est né en 1886 à Quimperlé et qu’il exerçait la profession de coiffeur. Comme je m’en doutais, il a bien participé à la Première Guerre mondiale au sein du 63e régiment d’infanterie. Il a même été blessé à deux reprises, le 17 juillet 1918 à Reims et le 18 octobre à Vouziers.
Condamné comme "souteneur" et pour désertion
Mais avant de s’illustrer dans les tranchées, son parcours a été plutôt chaotique. Je ne suis pas tombée sur n’importe quel Poilu. Sur son historique militaire figurent également plusieurs condamnations. En 1907, Louis est condamné à quatre mois d’emprisonnement et 100 francs d’amende pour des activités de "souteneur", en d’autres termes de proxénétisme. Sa maîtresse de l’époque racolait près de la place de la République, à Paris, et Louis a été vu récupérant son argent. Deux ans plus tard, alors qu’il effectue son service militaire, il est déclaré déserteur. Il part alors s’installer en Angleterre. Lorsque le conflit éclate, en août 1914, il ne se manifeste pas. Son cas s’aggrave, il est désormais accusé de désertion à l’étranger en temps de guerre. Ce n’est qu’en 1916 qu’il se présente finalement au consulat de Londres et qu’il part pour le front.
Sur mon compte Twitter, je partage mes découvertes et retrace brièvement le parcours peu banal de ce Poilu. Les réponses ne manquent pas. Tout le monde veut m’aider à en savoir plus sur Louis Duroure. Un Internaute me retrouve même sa photo sur un site de généalogie et un cliché de sa tombe. Le Breton est décédé en 1973. Il repose dans le cimetière de Hockley, dans l’est de l'Angleterre.
Grâce à @VictorBaissait, voici le visage de Louis retrouvé sur @MyHeritage. pic.twitter.com/ByB9n6FWSZ
Stéphanie Trouillard (@Stbslam) 17 août 2018"Les remettre en ligne au plus vite"
Sébastien Ottavi, professeur agrégé d’Histoire et enseignant au Lycée Fesch à Ajaccio, me fournit aussi quelques explications. Selon ce spécialiste de la Grande Guerre, Louis Duroure aurait pu rentrer dès 1914 sans problème en France : "La mobilisation s’est accompagnée d’une loi du 5 août 1914 qui amnistie les déserteurs et les insoumis du temps de paix. Le message est en gros : c’est la guerre, tout le monde doit y aller, donc on pardonne à ceux qui sont en délicatesse avec la justice militaire à condition qu’ils répondent à l’appel".
Qu’est ce qui le décide à finalement se présenter en juin 1916 auprès des autorités françaises ? Les échos de la bataille de Verdun? Un élan patriotique ? La peur d’être mal vu en Angleterre ? Impossible de le savoir. Revenu au pays, il est finalement condamné pour désertion, mais il ne purge pas sa peine. "La suspension de peine est très largement appliquée alors, au cœur d’une guerre dévoreuse d’hommes. Il s’agissait pour l’armée de ne pas offrir de prime à ceux qui avaient cherché à se soustraire au front, mais au contraire de les remettre en ligne au plus vite", décrit Sébastien Ottavi.
Une réhabilitation
Au combat, Louis se distingue. En mai 1918, il est cité à l’ordre de son régiment : "Exemple de bravoure faisant partie du groupe de tête lors d’un coup de main, a pénétré dans les tranchées ennemies et rapporté du matériel". Ces exploits lui valent la médaille militaire et la Croix de Guerre et lui permettent même d’être réhabilité. En mai 1919, ses précédentes condamnations sont ainsi amnistiées. "Un décret du 5 juillet 1918 prévoit la possibilité d’éteindre l’action publique provoquée par un certain nombre de délits et accordée aux soldats médaillés", précise Sébastien Ottavi.
Le décret du 5 juillet 1918 permettant la réhabilitation
Sébastien a raison, en particulier celle en PJ voir l'article du Prisme https://t.co/SL08cN6d6s pic.twitter.com/jvP2nByGrz
@Prisme1418 (@prisme1418) 17 août 2018Après l’armistice, Louis retourne en Angleterre. Il y retrouve sa femme et sa petite fille, née en 1914. Ils ont trois autres enfants. Sur un site de généalogie, je retrouve de l’autre côté de la Manche, la trace de l’un de ses petits-fils, Colin Mackenzie. Je lui fais part de ma découverte du bracelet de son grand-père, mais aussi de son passé avant-guerre. "Merci pour l’histoire de ces condamnations. Je ne sais pas si je dois être choqué car c’est difficile de savoir quelles étaient les circonstances à l’époque", me confie-t-il. Passée la surprise, il est ravi d’évoquer son ancêtre qu’il a bien connu : "Je pense qu’il était fier de ce qu’il avait fait au cours de la guerre, même s’il se plaignait des conditions terribles". Selon Colin Mackenzie, après son décès, ses affaires ont été éparpillées au sein de la famille et certains de ces objets militaires ont sûrement été vendus chez un brocanteur. Cela explique la présence du bracelet dans la boutique d’un antiquaire londonien.
Cent ans après, son petit-fils garde avant tout le souvenir d’un "homme joyeux" qu’il n’a jamais vu en colère : "Mon grand-père a vraiment eu une vie inhabituelle". Sébastien Ottavi partage son avis. "Tout est surprenant chez ce modeste Breton émigré très jeune à Paris, condamné très jeune aussi sans qu’on sache très bien si on lui a reproché du proxénétisme pur et simple ou une amourette avec une ‘fille publique’ comme on les qualifiait alors", estime l’historien. "Et puis sa désertion pour refaire sa vie à l’étranger, son retour alors que la guerre bat son plein, tout cela pose question. La guerre a été épouvantable, interminable, cinquante-deux mois de boucherie. Les gens ont eu le temps de changer".