
Des deux-roues font la queue pour faire le plein d'essence dans une station-service à Bamako, le 7 octobre 2025. © AFP
Bamako va-t-elle tomber aux mains des jihadistes ? Depuis l'opération Serval de 2013 qui avait permis de stopper l'avancée des groupes armés, jamais la capitale malienne n'avait semblé aussi vulnérable.
Depuis un mois, les hommes du JNIM (Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans), affilé à Al-Qaïda, contrôlent une partie des principaux axes routiers et prennent pour cible les camions-citernes qui viennent livrer de l'essence, une stratégie de blocus éminemment efficace dans un pays enclavé, très dépendant des importations en provenance de ses voisins ivoiriens et sénégalais.
Pour les quelque 3,2 millions d'habitants de Bamako, trouver de l'essence relève d'un vrai casse-tête, avec à la clé, de longues files d'attente devant les stations-service. Mais "il y a eu une amélioration ces derniers temps. C'est un peu au jour le jour en fonction des entrées des convois", explique un habitant joint par France 24 qui déplore l'explosion des prix sur le marché noir.
"Certains stockent pour pouvoir vendre plus cher les jours maigres, entre 2 000 à 5 000 francs CFA" le litre de carburant contre 775 FCFA (soit 1,18 € au cours actuel) à la pompe, prix plafonné par les autorités.
Face à cette situation, l'armateur de porte-conteneurs, le géant mondial italo-suisse MSC, a annoncé le 6 novembre suspendre ses livraisons terrestres de marchandises vers le Mali, en raison de "problèmes de sécurité" et de la "pénurie de carburant". Une décision qui pourrait aggraver la crise en cours.

Si le transport et la logistique sont les premiers touchés, tous les secteurs commencent à ressentir les effets des pénuries de carburant dans un pays où les biens sont transportés par voie routière : énergie, agriculture et même éducation.
"Cette stratégie de blocus est nouvelle pour le JNIM qui cherche à déstabiliser la junte au pouvoir et déclencher un mécontentement populaire à l'égard du régime d'Assimi Goïta", décrypte le journaliste et spécialiste de l'Afrique, Antoine Glaser, sur l'antenne de France 24.
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Pas de chute imminente de Bamako
Arrivé au pouvoir à la faveur d'un coup d'État en août 2020, le colonel Assimi Goïta avait bâti sa popularité sur la promesse d'un rétablissement de la sécurité et de la souveraineté du Mali. Cinq ans plus tard, la junte malienne et ses supplétifs russes de Wagner ont échoué à contenir la progression des groupes armés qui ont prospéré sur l'inexistence de l'État.
"La junte n'a pas été en mesure de renverser le rapport de force. La menace est désormais partout sur le territoire. Cela signe l'échec de la stratégie du tout-militaire et du tout-sécuritaire mise en place par les militaires", affirme le journaliste et écrivain Seidik Abba qui constate une évolution de l'agenda du JNIM.
"Au départ, il s'agissait d'occuper le territoire malien. Maintenant on constate qu'il y a une volonté d'exercer le pouvoir car le JNIM a acquis une capacité opérationnelle très importante en récupérant des équipements mais aussi des capacités financières en lien avec les otages".
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Début novembre, France 24 révélait que le groupe jihadiste dirigé par Iyad Ag Ghali avait perçu une rançon record de 50 millions de dollars en échange de la libération de trois otages, dont un ancien général émirati. Un profil qui a permis au JNIM de faire monter les enchères.
De son côté, le ministère français des Affaires étrangères a recommandé dans une note publiée le 7 novembre à ses ressortissants de quitter temporairement le Mali "dès que possible" rappelant que "les déplacements par voie terrestre restent déconseillés".
Pour autant, à ce stade, la perspective d'une attaque militaire du JNIM pour prendre Bamako est écartée par la plupart des analystes sécuritaires.
"Le JNIM n'a pas les capacités d'entrer dans une ville comme Bamako et de la contrôler, il ne peut pas prendre seul la capitale", explique le journaliste Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes à France 24. "En revanche, des négociations sont en cours pour créer une coalition hétéroclite avec des forces d'opposition ostracisées par le pouvoir et qui mènerait à une gouvernance islamique".
"Le JNIM est conscient que Bamako n'a pas été 'travaillée' sur le plan idéologique par les islamistes pendant 50 ans. Donc, le JNIM cherchent des partenaires qui pourraient s'accommoder des islamistes en pensant qu'ils vont se normaliser au sein de l'appareil d'État", détaille le chercheur au Ceri de Sciences-Po Luis Martinez, auteur de "L'Afrique, le prochain califat ?" (éd. Tallandier).
"Dédiabolisation"
Selon cet ancien consultant pour l’Union européenne en Afrique subsaharienne, les actions de harcèlement et de blocus menées par les jihadistes ont d'abord pour objectif de discréditer le pouvoir de la junte et susciter de nouvelles vocations dans les rangs de l'armée.
"Le JNIM cherche à démontrer aux officiers de second rang qu'il n'y a plus d'avenir avec la junte dans l'espoir d'obtenir la reddition d'un certain nombre de divisions, de commandants, de colonels, de capitaine de l'armée... Il est clair que le JNIM aspire à gouverner une partie du territoire malien et même s'il ne fait pas tomber Bamako, restreindre le pouvoir des militaires dans la capitale et à sa périphérie la plus proche, c'est déjà une conquête énorme sur le plan politique et idéologique".
"Les renseignements que nous avons montrent que le JNIM n'est pas nécessairement ni en capacité, ni n'a la volonté [...] de contrôler le pays, de contrôler le Mali, conscient aussi de ses limites", a confirmé lundi le patron de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) française, Nicolas Lerner, sur la radio France Inter. "En revanche, tout laisse à penser que le JNIM souhaite la chute de la junte et souhaite l'installation d'un pouvoir qui soit en effet favorable à l'installation d'un califat sur tout ou partie du territoire malien".
Voile obligatoire, séparation des hommes et des femmes, promotion d'une lecture rigoriste du Coran... dans les zones tombées sous influence, les jihadistes ont déjà laissé entrevoir le modèle de société qu'il entend imposer à l'ensemble du Mali.
Dans le centre du pays, le groupe a fait signer des accords à plusieurs villages interdisant tout contact avec les forces de sécurité. À cette volonté de proposer une alternative au pouvoir des militaires, le JNIM a mis en œuvre "une stratégie de dédiabolisation pour tenter de se faire accepter par le peuple malien" en évitant de s'en prendre systématiquement aux civils.
"Le JNIM n'a aucun intérêt à une diffusion de la terreur au sein de la population. C'est aussi une question de crédibilité internationale. Le JNIM a tiré les leçons du passé, notamment celle de l'État islamique en Libye et veut éviter qu'une coalition internationale lui tombe dessus et l'empêche d'atteindre ses objectifs. Et il ne s'agit pas de se contenter du Mali", prévient Luis Martinez. "Après le Mali, ce sera très clairement le Burkina Faso, pays où 70 à 80 % du territoire échappe au contrôle de l'armée avec à la clé une forme de victoire jihadiste en Afrique sahélienne qui était difficilement imaginable il y a encore quelques temps".
