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RéessayerJamais, jusqu'à présent, un président syrien n'avait été reçu à la Maison Blanche. Ahmed al-Charaa doit rencontrer, lundi 10 novembre, à la Maison Blanche, le président américain ,Donald Trump. Cette visite constitue un point d'orgue pour le président intérimaire syrien, ancien chef des rebelles qui ont fait chuter le régime autocratique de Bachar al-Assad il y a près d'un an et qui œuvre depuis lors pour mettre fin à l'isolement international de la Syrie.
La visite du dirigeant syrien intervient au lendemain de son retrait de la liste noire américaine du terrorisme, dans la foulée de la levée des sanctions qui le visaient par le Conseil de sécurité de l'ONU. Lors de son séjour à Washington, il devrait signer un accord pour rejoindre la coalition antijihadiste menée par les États-Unis. Les deux dirigeants doivent également évoquer les négociations avec Israël et la reconstruction de la Syrie.
À l'occasion de cette rencontre historique, Roula Merhej, chroniqueuse chez Géostratégie magazine et spécialiste des dynamiques géopolitiques du Moyen-Orient, explique pour France 24 les transitions politiques en cours dans la Syrie post-Assad.
France 24 : Quels sont les objectifs de la visite d'Ahmed al-Charaa visite aux États-Unis ? Et qu'attend Donald Trump du dirigeant syrien ?
Roula Merhej : Le président Charaa cherche à obtenir la levée définitive des sanctions internationales imposées sous le régime d'Assad, conformément aux discussions amorcées lors de la première rencontre en Arabie saoudite en mai dernier. La Syrie souhaite enclencher sa reconstruction économique sans l'obstacle de la "loi César" (NDLR : Cette loi de 2020 prévoyait des sanctions sévères contre toute entité ou entreprise coopérant avec le pouvoir déchu de Bachar al-Assad).
Cette visite s'inscrit également dans la volonté de lutter contre le terrorisme et de ratifier l'adhésion de Damas à la coalition internationale contre l'organisation État islamique. Les principales contreparties attendues par Donald Trump portent notamment sur l'adhésion de la Syrie aux accords d'Abraham, l'expulsion des factions terroristes étrangères, y compris palestiniennes, et sur l'engagement syrien à prévenir toute résurgence de l'EI.
Washington souhaite la stabilisation durable de la région par l'élimination des groupes armés, un fédéralisme limité garantissant l'unité du pays, ainsi que la sécurité des investissements des pays du Golfe. L'accord du 10 mars 2025 entre le président syrien et le commandant des FDS (Forces kurdes) prévoit d'ailleurs l'intégration progressive de ces dernières dans les institutions de l'État syrien.
Quel rôle peut jouer la Syrie dans la reconfiguration du Moyen-Orient ? Peut-elle aller jusqu'à abandonner le Golan ? Quelles seraient les conséquences d'une telle décision pour les Syriens ?
Comme le disait Henry Kissinger : "Pas de paix sans la Syrie, pas de guerre sans l'Égypte". La Syrie a longtemps été la plaque tournante des rivalités régionales, sous influence iranienne, dans un affrontement idéologique opposant chiites et sunnites. La chute du régime d'Assad a provoqué l'effondrement de l'axe irano-russe. Dans la situation actuelle, la Syrie représente un corridor énergétique stratégique pour les États-Unis, mais aussi un terrain d'affirmation de puissance militaire pour les acteurs régionaux tels qu'Israël et la Turquie. C'est là que réside le principal enjeu du nouveau régime syrien.
La Syrie se trouve aujourd'hui face à un non-choix. Israël a indiqué qu'aucun accord ne serait conclu sans reconnaissance de son annexion du Golan. Charaa pourrait être contraint d'y céder pour assurer la survie économique de son pays. La pression américaine est claire : la levée des sanctions et l'aide à la reconstruction sont conditionnées à l'adhésion aux accords d'Abraham. Après plus de 50 ans de régime autoritaire et 14 ans de guerre civile, la population syrienne, épuisée, aspire à la stabilité économique avant toute rhétorique nationaliste. Il est probable que le président syrien maintienne publiquement une position ferme tout en négociant en coulisses un compromis. L'acceptation de facto de la perte du Golan pourrait être présentée comme un "accord de stabilisation", comparable à celui de 1974, afin d'éviter tout soulèvement populaire. Ce n'est qu'une fois la Syrie réintégrée sur la scène internationale et bénéficiaire d'une aide économique massive que l'adhésion aux accords d'Abraham deviendrait officielle.
Que peut offrir la Syrie aux États-Unis alors que son économie est exsangue ?
Sur le plan économique, les États-Unis visent à sécuriser de nouvelles routes énergétiques reliant le Golfe à la Méditerranée par la Syrie, contournant ainsi l'Iran et la Russie. Un réseau de gazoducs traversant la Turquie permettrait d'approvisionner l'Europe tout en plaçant la Syrie au cœur d'un corridor stratégique sous influence américaine. La levée progressive des sanctions ouvrirait la voie à d'importants investissements occidentaux. Ainsi, Washington contrôlerait les routes commerciales régionales et consoliderait sa position face à l'Iran et à la Russie, tout en intégrant la Syrie dans sa stratégie globale anti-Chine. Sur le plan géopolitique, les États-Unis se repositionnent plus que jamais au Moyen-Orient. Dans le cadre des accords d'Abraham, la mise en place d'une base aérienne américaine en territoire syrien est évoquée, renforçant la présence stratégique de Washington dans la région.
Comment le nouveau gouvernement syrien peut-il satisfaire en même temps Israël, le Qatar et la Turquie, dont les intérêts semblent divergents ?
En réalité, Israël, le Qatar et la Turquie partagent aujourd'hui un objectif tacite : le retour de l'influence sunnite dans une région longtemps dominée par l'axe chiite. Les trois pays convergent également sur la question kurde : aucun d'eux ne souhaite l'émergence d'une entité kurde indépendante. La Turquie, alliée de la première heure du mouvement Hayat Tahrir al-Cham (NDLR : Charaa a d'abord intégré les rangs d’Al-Qaïda avant de fonder la branche sécessionniste Hayat Tahrir al-Cham, aussi appelée HTC), n'acceptera jamais l'autonomie kurde. Israël, de son côté, préfère un État syrien centralisé et stable plutôt qu'un territoire fragmenté vulnérable à l'influence iranienne. Le Qatar, idéologiquement proche de la Turquie par son soutien au sunnisme politique, agit de concert avec Ankara tout en finançant les projets énergétiques régionaux. Ainsi, loin d'être divergents, les intérêts de ces trois acteurs s'alignent sur la recomposition d'un Moyen-Orient post-iranien, économiquement intégré et militairement sous supervision américaine.
Comment voyez-vous la configuration économique de la Syrie d'ici quelques années ?
Selon la Banque mondiale, le coût de la reconstruction syrienne dépasse 216 milliards de dollars. Cette recomposition s'effectuera sous étroite tutelle étrangère, par zones d'influence et par secteurs. Des accords ont déjà été signés avec les Émirats arabes unis pour la gestion portuaire. La concession d'un terminal à conteneurs à Lattaquié a par exemple été donné à CMA-CGM (NDLR : la Compagnie maritime d'affrètement - Compagnie générale maritime, un armateur de porte-conteneurs français) pour 230 millions d'euros. Le Qatar, la Turquie et les États-Unis ont également conclu un accord de sept milliards de dollars dans le domaine de l'énergie. La Syrie sera donc confrontée dans les cinq à six prochaines années à une dépendance économique quasi totale vis-à-vis de ces partenaires.
Historiquement, les grandes puissances ont toujours redessiné le Moyen-Orient. Cette nouvelle phase ne fera pas exception. Toutefois, la reconstruction syrienne devra composer avec des risques de fragmentation interne et de tensions communautaires. Le président Charaa devra maintenir un équilibre délicat : restaurer la confiance, éviter les affrontements confessionnels et faire preuve d'intransigeance face à la corruption.
Est-ce que la Syrie va maintenir les bases navales russes à Tartous ?
Les bases navales russes de Tartous constituaient un atout stratégique essentiel pour Moscou. Le traité signé en 2017 prolongeait leur bail pour 49 ans. Cependant, le nouveau gouvernement syrien issu de la transition a mis fin à cet accord. Lors de la visite de Charaa à Moscou en octobre dernier, Damas a sollicité l'effacement des dettes contractées sous Assad et la restitution des fonds détournés par l'ancien régime. La Russie, affaiblie par ses difficultés économiques et son isolement diplomatique, a accepté un retrait progressif présenté comme une "reconfiguration" plutôt qu'une expulsion. Ce retrait marque la fin d'une ère : avec le retrait de ses bases et de ses contrats, Moscou perd son dernier levier de puissance au Levant. Les États-Unis obtiennent ainsi un double avantage, la réduction de l'influence russe en Méditerranée et le renforcement de leur ancrage militaire dans la région.
