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13-Novembre : les explosions au Stade de France, premier acte d'une nuit de terreur
Alors que la France se prépare à commémorer les 10 ans des attentats du 13-Novembre jeudi, retour sur une soirée des plus angoissantes au Stade de France, l'une des cibles des commandos de l'organisation État islamique.
Des spectateurs se précipitent sur la pelouse du Stade de France après le match amical international de football opposant la France à l'Allemagne, à Saint-Denis, en banlieue parisienne, le 13 novembre 2015. © Michel Euler, AP

Visiblement ému, Didier Deschamps a exprimé jeudi 6 novembre son malaise à l'idée de jouer contre l'Ukraine le jour de la commémoration des 10 ans des attentats du 13-Novembre.  "Au fond de moi, si on avait pu éviter de jouer (...), ç'aurait été bien", a-t-il lâché en conférence de presse, évoquant une "journée particulière".

"Sincèrement, je ne me sens pas la force de parler de ce qui s'est passé, tout simplement par rapport au respect que j'ai pour les familles qui ont souffert et qui ont perdu des êtres chers", a poursuivi le sélectionneur des Bleus.

Et pour cause, Didier Deschamps se rappelle très bien cette soirée effrayante : il était aux premières loges, sur le bord du terrain, à encourager ses joueurs lors de la confrontation attendue entre la France et l'Allemagne, quand les premières bombes ont retenti.

Vers 20 h 45, le premier commando conduit par Salah Abdeslam, cerveau de l'opération, arrive aux abords du Stade de France, à Saint-Denis. Il dépose trois terroristes sur place avant de repartir. 

À 21 h, le coup d'envoi du match amical est donné. L'un des terroristes s'assoit à la terrasse d'un restaurant attenant. À 21 h 16, le terroriste se fait sauter à l'aide d'une ceinture explosive. À l'intérieur du stade, les près de 80 000 spectateurs et les joueurs entendent un grand boum, mais le match se poursuit. Cette première explosion tue une personne et en blesse trois autres. 

Beaucoup de spectateurs pensent alors qu'il s'agit d'un pétard. "Ça a tremblé sur l'estrade, ça a vraiment tremblé", assure cette nuit-là l'un des spectateurs au micro de France 3. La deuxième détonation instille le doute. Patrice Evra, qui a alors le ballon, lance un regard plein de peur vers les tribunes. Mais le défenseur des Bleus continue de jouer. 

À 21 h 20, un deuxième terroriste se fait exploser au niveau d'une des portes du stade. Il fera plusieurs blessés dont un grave. Peu de temps après, les premiers médias relaient les fusillades en cours sur les terrasses des 10ᵉ et 11ᵉ arrondissement.

Lors d'un long entretien sur la chaîne du Youtubeur Gaspard G, François Hollande revient sur cette nuit d'horreur. Grand amateur de football, celui qui était alors président de la République est absorbé par la rencontre lors de la première détonation. "On ne veut pas croire qu'il y ait le signe d'une attaque, donc on met ça sur le signe de la bombe agricole que certains supporters peuvent faire éclater à l'extérieur du stade", confie-t-il dans un entretien en janvier 2025. "Mais quand il y a une deuxième détonation quelques minutes après, il n'y a plus de doute", assure-t-il. 

"L'important était d'éviter la panique"

Vers la trentième minute de jeu, le responsable de la sécurité présidentielle informe le chef de l'État qu'il y a une personne décédée à l'extérieur du stade, peut-être même deux. Il attend la mi-temps et se rend alors au PC sécurité et visionne les images de l'extérieur du stade, où règne le chaos. Il doit quitter les lieux. Dans le même temps, il est informé qu'une autre attaque a visé les terrasses. Le bilan du nombre de victimes ne cesse de grimper de minute en minute. "Je fais venir le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, au Stade de France et je demande à Manuel Valls (alors Premier ministre), de préparer toutes les décisions avant que je ne le rejoigne au ministère de l'Intérieur", poursuit François Hollande.

"Je prends alors la décision de ne pas interrompre le match", poursuit-il. Internet est par ailleurs coupé au Stade de France : tout est fait pour que la foule reste à sa place et que les joueurs continuent la partie.  Les spectateurs et les joueurs resteront déconnectés du monde jusqu'à la fin du match. Le chef de l'État retourne ensuite à la tribune présidentielle et informe le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier et le président de l'Assemblée nationale Claude Bartolone, qui assistent, eux aussi, au match, et leur demande de rester à leur place pour éviter que le public ne se doute que quelque chose de grave est en cours. 

"L'important était d'éviter la panique", justifie Noël Le Graët, alors président de la Fédération française de football. "Quand un incident comme ça se produit, on regarde ce stade immense avec tout près de 80 000 personnes, et comment les gens peuvent sortir du stade sans danger". "C’était très difficile de passer une heure à faire semblant. La deuxième période était très, très, très longue", confiera toutefois le patron du football français au micro de RTL.

Les joueurs allemands dorment dans les vestiaires

La France l'emporte deux buts à zéro face à l'Allemagne. Au coup de sifflet final à 23 h, de nombreux spectateurs sont refoulés à l'intérieur du stade : la sécurité n'est pas garantie à l'extérieur. Les spectateurs comprennent ce qui est en train de se passer. Quelques centaines d'entre eux se réfugieront sur la pelouse. Ils peuvent ensuite quitter peu à peu les lieux. Nombre d'entre eux rejoignent les transports en commun en chantant la Marseillaise en signe de résistance. Quant aux joueurs, ce n'est qu'au coup de sifflet final qu'ils apprennent que la France est attaquée, les chaînes de télévision sur le chemin du vestiaire étant en édition spéciale attentat. 

"Les Allemands viennent aux nouvelles. Plusieurs joueurs se connaissent. Dans les couloirs, des joueurs français et allemands discutent, assis par terre. On voit des scènes de fraternisation, même si c'est un bien grand mot", raconte à l'AFP Philippe Tournon, le responsable presse de l'époque.

Avant trois heures du matin, une solution est trouvée pour la délégation allemande qui prendra un avion à Roissy vers 7h. En attendant, la Mannschaft décide de patienter dans le vestiaire pour des raisons de sécurité. On leur apporte quelques matelas et des boissons.

Lassana Diarra endeuillé 

Pas de point presse : les joueurs sont préoccupés par le sort de leurs proches. La sœur d'Antoine Griezmann est au Bataclan : elle en sortira indemne. Lassana Diarra, néanmoins, apprendra plus tard le décès d'une de ses cousines. Asta Diakité, circulait en voiture rue Bichat quand elle a été touchée mortellement par une des balles des terroristes. 

Les Français rentrent à Clairefontaine vers 4 h. Le 14 novembre, lorsqu'il faut reprendre le chemin des terrains, l'atmosphère est lourde. Faut-il ou pas jouer le match en Angleterre à peine trois jours plus tard ? Les joueurs sont partagés mais Noël Le Graët vient solennellement leur demander de s'engager. "Le président est arrivé en disant que le but des terroristes était de nous empêcher de vivre et de semer la terreur. Il a dit que les contacts étaient pris avec la Fédération anglaise et qu'il fallait jouer", conclut une source au sein du staff.

"Lass est touché dans sa chair. Il a tenu à rester. Il tient à ces valeurs de solidarité. Sa présence est rassurante", commente par ailleurs Didier Deschamps. "C'est la première fois en France qu'un stade est la cible d'un attentat... Le sport est un symbole dans la vie sociale, économique. Nous avons toujours considéré que c'était un honneur et une fierté de représenter ce pays, de porter ce maillot. Aujourd'hui, cette responsabilité est encore plus importante. Le sport est une représentation de l'union, de la diversité", avait poursuivi le coach des Bleus.

Avec AFP