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Refugee Food Festival : "Intégrer les réfugiés par la gastronomie"

Jusqu'au 24 juin, 14 restaurants parisiens confient leurs cuisines à des chefs réfugiés. Stéphane Jégo, à la tête de L'ami Jean, et Magda Gegenava, réfugiée géorgienne, proposeront un menu à quatre mains, mardi. Ils en parlent à France 24.

Il ne connaissait pas la cuisine géorgienne, elle ne connaissait pas la cuisine française. À l’occasion de la troisième édition du Refugee Food Festival, initiative lancée en 2016 par l’association Food Sweet Food avec le soutien de l’UNHCR, France 24 a rencontré Stéphane Jégo, à la tête de L’Ami Jean (Paris 7e) et Magda Gegenava, réfugiée géorgienne. Mardi 19 juin, ils offriront, ensemble, un menu franco-géorgien à quatre mains.

Que représente le Refugee Food Festival pour vous ?

Magda Gegenava : En Géorgie, je dirigeais un cabinet dentaire, je ne suis donc pas chef de formation. Le festival est une chance de pouvoir travailler dans un vrai restaurant : observer, apprendre à connaître la clientèle française. Même si je propose de la cuisine géorgienne, c’est très important que je m’adapte à la France. D’autant plus qu’ici, on vous demande toujours quelles sont vos expériences.

Stéphane Jégo : Le festival offre une assise, une vraie expérience à Magda. C’est la troisième année que je participe au Refugee Food Festival. La cuisine est un très bon moyen d’extirper des personnes d’une situation compliquée. Le but n’est pas que je donne à Magda une bouteille d’eau quand elle a soif, mais que je lui donne une pelle pour qu’elle aille creuser son puits.

Qu'a changé le festival dans votre vie ?

M. G. : Quand je suis arrivée en France il y a cinq ans, je ne connaissais personne. Le Refugee Food Festival m’a permis de rencontrer des Français, de m’ouvrir à d’autres cercles.

S. J. : Le réflexe du réfugié est de se tourner vers sa communauté car il ne connaît rien, ni personne. Nous voulons casser la tentation communautariste et emmener les réfugiés vers plus d’ouverture : insérer et intégrer par la gastronomie. Sans ça, Magda risquerait de rester dans sa communauté, de s'isoler. Le festival aspire à insérer professionnellement les réfugiés qui ont un projet, leur donner accès aux codes gastronomiques, aux petits producteurs, aux artisans… Et quand Magda ouvrira son restaurant, elle ne sera pas vue comme une Géorgienne qui ouvre un restaurant géorgien, mais comme quelqu’un d’impliqué dans la gastronomie avec les codes de la France adaptés à la cuisine géorgienne. On ne va pas la regarder comme une pauvre réfugiée qui ouvre un pauvre restaurant !

Et dans votre cuisine ?

M. G. : La présentation des plats et l’orchestration ! En France, le visuel est très important alors qu’en Géorgie, nous déposons tous les plats sur une grande table du début à la fin du repas et chacun prend ce qu’il veut. Il n’y a pas une grande attention portée à la décoration. Ici, nous avons adapté et travaillé des plats. Par exemple, je fais des khinkalis ["Des ravioles, le must du must du must !", s’exclame Stéphane Jégo] et d’habitude, nous en posons dix ou quinze dans l’assiette. Mais, au restaurant, nous en déposons cinq en les travaillant. Le visuel change tout. C’est la touche gastronomique !

S. J. : Grâce à toutes ces rencontres, je m’enrichis. Avant, j’utilisais les épices avec parcimonie. Depuis, je suis devenu plus pointu, je creuse un peu plus. En cuisine, je n’ai pas de barrières, pas d’égo. Mais même si je suis ouvert à tout, parfois, je peux passer à côté, ne pas avoir la présence d’esprit d’utiliser tel produit. Cette année, j’ai pu travailler la grenade, la noix, les épices [emblématiques de la cuisine géorgienne, NDLR].

Qu'avez-vous aimé dans la cuisine de l'autre ?

M. G. : Avant d’arriver en France, je ne connaissais pas la cuisine française. En Géorgie, il y a des restaurants italiens et chinois, mais pas français. C'est en France que j'ai découvert la pomme grenaille : j'adore ! Goûter la cuisine de Stéphane fut un choc. C’était absolument différent de tout ce que j’avais pu goûter. Je n’aime pas les produits de la mer, mais quand le chef les prépare, c'est magnifique. Un festival ! Car il est curieux, il expérimente les différentes cuissons : grillée, fumée... Il cuisine comme nous car nous aimons beaucoup le salé, le fumé, et il adore nos épices. Dans une vie antérieure, Stéphane était géorgien et il l’ignore !

S. J. : Avant Magda, je ne connaissais pas du tout la cuisine géorgienne ! Tout est différent. La cuisine géorgienne a son identité, ses produits. Maintenant, j’aime beaucoup le chakapuli, un plat de veau que Magda fait. C’est très intéressant, avec cette acidité, cette prune qui donne du relief. Et j’aime beaucoup l’assaisonnement de sa betterave. C’est parce qu’elle l’assaisonne avec des épices que nous ne connaissons pas que c’est intéressant.

Le Refugee Food Festival souffle sa troisième bougie et les éditions se multiplient dans le monde. Comment expliquez-vous un tel succès ?

S. J. : Lors de la première édition, j’ai travaillé avec Mohammed Elkhaldy et dès le début, nous avons été sur un pied d’égalité. Je ne parle ni l’anglais, ni l’arabe, mais nous parlions cuisine. Nous communiquions avec une autre langue : la gastronomie. Il n’y avait aucune barrière, rien qui pouvait nous empêcher d’avancer. La simplicité et l’égalité sont les ingrédients qui, je pense, font fonctionner le festival. La cuisine est universelle et la meilleure des passerelles pour aller vers l’autre. Si le monde optait pour la simplicité au lieu d’une complexité politique, les choses seraient meilleures.