
Amnesty a enquêté sur les raids menés par la coalition internationale contre l'EI à Raqqa. Dans un rapport publié mardi, l'ONG affirme que des centaines de civils ont été tués et des milliers d'autres blessés dans la ville syrienne dévastée.
Du 6 juin au 12 octobre 2017, la coalition internationale menée par les États-Unis a mené une opération militaire sur Raqqa pour libérer la ville syrienne de l’emprise de l’organisation État islamique (EI). Dans un rapport publié mardi 5 juin, Amnesty International estime que ces frappes aériennes ont tué des centaines de civils et blessé des milliers d’autres.
"Les affirmations de la coalition selon lesquelles sa campagne de bombardements aériens de précision lui a permis de chasser l'EI de Raqqa en faisant très peu de victimes civiles ne résistent pas à un examen approfondi. Sur le terrain, nous avons vu à Raqqa un niveau de destruction comparable à celui que nous avons pu constater dans toutes les zones de guerre où nous nous sommes rendus depuis des décennies", déclare ainsi dans ce document Donatella Rovera, principale conseillère d’Amnesty International pour les situations de crise.
Aujourd'hui nous publions une nouvelle enquête sur le carnage de la libération de Raqqa.
Des milliers de civils sont morts, coincés entre l'Etat Islamique et les frappes de la coalition menée par les Etats-Unis.https://t.co/84BIrKxEhq
"Les habitants se sont trouvés piégés"
Pour l’ONG, les crimes commis par l’EI "ne dégagent pas la coalition de son obligation de prendre toutes les précautions possibles pour limiter les dommages infligés aux civils". Comme le précise à France 24 Nina Walch, chargée de campagne Conflits armés chez Amnesty International France, "des armes inadéquates ont été utilisées. Ils ont utilisées des bombes qui emportaient des immeubles entiers et des systèmes d’artillerie à large portée. Un haut responsable militaire américain a déclaré qu’il n’y avait jamais eu autant d’obus tirés depuis la guerre du Vietnam".
Selon Nina Walch, "les habitants se sont ainsi retrouvées piégés entre les forces démocratiques syriennes, les frappes incessantes de la coalition et les snipers de l’EI".
Pour établir ce rapport, des chercheurs de l’ONG se sont rendus sur 42 sites touchés par cette opération et ont interrogé des habitants de Raqqa. Le document mentionne le cas de quatre familles qui ont perdu en tout 90 proches et voisins. La famille Badran a été particulièrement éprouvée : "En quelques semaines, 39 membres de cette famille ont été tués lors de quatre frappes aériennes distinctes menées par la coalition, alors que la famille tentait désespérément d'éviter les lignes de front très mouvantes en changeant régulièrement d'endroit dans la ville".
Reconnaître l’ampleur des pertes civiles
En conséquence, Amnesty International demande l’ouverture d’une enquête. "Les frappes aveugles ou disproportionnées peuvent en effet constituer des crimes de guerre. Nous nous sommes déjà adressés aux autorités britanniques, américaines et françaises pour avoir plus de précisions sur les frappes commises", explique Nina Walch. "La première chose qu’ils doivent faire, c’est reconnaître l’ampleur des pertes au niveau des civils".
Pour l’ONG, les pays de la coalition doivent aussi contribuer à la reconstruction de Raqqa et à des projets humanitaires. "La ville n’est qu’un tas de ruines. Les habitants qui y sont retournés se retrouvent avec leur maison pillée, sans électricité, sans école, sans téléphone et avec tous ces corps qui sont toujours sous les décombres", décrit Nina Walch. Elle met aussi en garde contre les menaces qui pèsent toujours sur la population : "C’est un champ de mines. Tous les jours, des gens meurent parce qu’ils marchent sur un engin explosif. Nous avons aussi publié ce rapport pour alerter sur ce qu’il se passe encore là-bas".
Minimiser les dommages
En réponse à ce rapport, le porte-parole de la coalition internationale, le colonel Sean Ryan, a souligné les "efforts rigoureux" de la coalition et les "renseignements recueillis avant chaque frappe pour détruire efficacement l'EI tout en minimisant les dommages sur la population civile".
Il a affirmé que les conclusions du rapport selon lesquelles les frappes étaient "disproportionnées" ou "aveugles" étaient "plus ou moins hypothétiques" et souligné que toute "mort ou blessure d'une personne non combattante constitue une tragédie".
"Nous faisons tout ce que nous pouvons pour minimiser les risques pour les populations civiles", a assuré de son côté le ministère britannique de la Défense, "mais compte tenu du comportement impitoyable et inhumain de Daech et de l'environnement urbain complexe dans lequel nous évoluons, nous devons accepter que le risque de victimes civiles involontaires soit toujours présent".
Avec AFP