
Un nouveau média LGBT+ a fait son apparition en France. Très attendu, Komitid veut rassembler autour de sujets longtemps restés dans l'angle mort de la presse traditionnelle et hétéronormée. De l'importance de laisser parler les communautés.
On ne pouvait pas choisir meilleure date pour le lancement de Komitid, nouveau média consacré à l'actualité LGBT+ : ce 23 avril, le mariage pour tous fête ses cinq ans.
"Avant l'adoption du projet de loi, les sujets LGBT+ étaient toujours traités à la marge. Depuis, les choses ont changé et la presse généraliste n'hésite plus à s'emparer de cette thématique lorsque cette dernière se trouve dans l'actu", se réjouit Maëlle Le Corre, journaliste de Komitid ayant participé à sa création, interrogée par Mashable FR.
Mais pourquoi se contenter d'une mise à l'agenda au compte-gouttes lorsque l'on peut parler pour soi-même ? Komitid est "un média fait par et pour les concerné.e.s", selon l'ancienne de Yagg qui estime également que certains journaux ont encore besoin d'être pris par la main sur ces thématiques qu'ils découvrent peu à peu. Or, avec son offre freemium (mix gratuit/payant), le site proposera tous les jours une dizaine d'articles gratuits, assortie d'une ou deux analyses/enquêtes accessibles pour 4,5 euros par mois. Le tout entièrement dédié à une actualité LGBT ou à des faits de société vus sous l'angle LGBT.
Impact du mariage pour tous sur la droite, place des personnages et acteurs trans dans les séries françaises, queerbaiting (le fait de sous-entendre dans une fiction, sans la confirmer, une relation entre deux personnes de même sexe) dans Harry Potter, limites de la loi sur le mariage pour tous en matière de parentalité chez les couples homosexuels... Le jeune média a l'ambition de traiter de politique, société, culture sous le prisme LGBT+ encore trop peu existant. Ce qui ne revient pas à ne viser qu'une catégorie de lecteurs : "Bien sûr, la communauté LGBT+ est notre cœur de cible, mais la société a assez évolué pour que nos sujets intéressent tout le monde", prophétise auprès de Mashable FR Fabien Jannic-Cherbonnel, ex-journaliste à RFI et qui a également déjà écrit dans nos colonnes.
Pas du militantisme, mais du journalisme engagé
L'existence d'une pluralité de sensibilités politiques dans le paysage français n'étonne personne. Alors, sur le papier, pourquoi nos orientations sexuelles et nos origines seraient-elles traitées différemment ? Pourtant, "le communautarisme est un reproche que l'on me fait tout le temps", s'amuse Julie Hamaïde, la fondatrice du magazine Koï dédié aux cultures asiatiques. Auprès de Mashable FR, elle rappelle que parler à une communauté en particulier "ne devrait faire de personne un média communautariste".
Les concepts de "communautarisme" et de "militantisme" sont utilisés pour décrédibiliser les journalistes engagés et les silencier
Au contraire. Il s'agit aussi d'ouvrir des cultures aux autres en les faisant connaître à ceux qui s'y intéressent – qu'ils soient d'origine asiatique ou pas. Eurasienne, l'ancienne pigiste a eu l'idée de lancer un nouveau média en 2017 en s'apercevant que "les communautés asiatiques en France ne jouissent que d'une couverture médiatique superficielle et redondante". "J'étais frustrée en tant que lectrice", se souvient-elle. À la suite d'une interview de Frédéric Chau qu'elle rencontre pour un portrait pour Le Monde, elle apprend que de nombreux médias sollicitent l'humoriste franco-vietnamien pour le faire réagir à l'agression de Chaolin Zhang à Auberviliers. "Il n'avait pas envie d'être un porte-drapeau tandis qu'à l'inverse, il existe des gens qui ont envie de prendre la parole mais à qui l'on ne tend pas le micro", raconte-t-elle.
C'est ainsi qu'avec Koï, la jeune femme entend remédier au manque de visibilité des populations asiatiques en France. "Qui sait ? Peut-être qu'un jour, les personnes asiatiques auront à ce point leur place dans les médias généralistes que l'on n'aura plus besoin de Koï", espère-t-elle sans paradoxe. Mais la journaliste engagée de récuser le terme "militantisme" : "Koï ne recense pas toutes les agressions racistes de France. Notre travail n'est pas celui d'une association. La société a besoin de différentes façons de changer les choses, la mienne est celle du soft power : informer et rendre hommage à tous ces Français d'origine asiatique qui se bougent mais dont on entend peu parler."
Questionnée sur le même sujet, Maëlle Le Corre met elle aussi en garde contre les concepts de "communautarisme" et de "militantisme". "Ils sont souvent utilisés pour décrédibiliser les journalistes engagés et les silencier, en laissant entendre que leur travail est biaisé." Pour la journaliste de Komitid, "l'universalisme républicain a tendance à aplanir les minorités". "Or, reconnaître nos différences, ce n'est pas fragmenter la société mais bien enrichir nos discussions. Le bien-vivre ensemble ne revient pas à dire que pour faire société, il faut se fondre dans une masse", explique celle pour qui il est urgent de redonner des silhouettes à la masse informe que sous-entend l'expression "communauté LGBT". Pour cela, l'une des originalités de Komitid sera d'offrir une tribune, "Dites-le fort !", ouverte à celles et ceux qui veulent partager des idées qu'ils n'ont pas le loisir de développer ailleurs. "La presse généraliste et la presse spécialisée pour les communautés peuvent tout à fait cohabiter. Nous pouvons être militants par ailleurs, mais chez Komitid, nous sommes d'abord journalistes. Comme n'importe quelle personne du métier, nous faisons nos recherches, passons des coups de fil, recoupons nos informations... La démarche du média est militante dans le sens où elle donne la parole à une actu LGBT+, oui, mais nous ne sommes bien journalistes et pas l'organe de presse officiel de la communauté", précise-t-elle. Rebecca Amsellem, qui a lancé en 2015 Les Glorieuses, une newsletter destinée aux femmes, estime également important qu'une communauté de personnes puisse disposer d'espaces dédiés : "S'adresser à une communauté définie sans prétendre être "mainstream" permet d'analyser des thématiques qui correspondent aux centres d'intérêt des femmes, a fortiori féministes", explique-t-elle à Mashable FR.
Dans un monde où la fabrique de l'information reste majoritairement d'obédience libérale, occidentale et hétéronormée, il est urgent d'aider la pluralité des voix à s'exprimer. C'est pour cette raison que l'on ne peut que se réjouir de l'existence d'un magazine comme Koï, d'une newsletter féministe comme celle des Glorieuses, d'un quotidien de l'écologie comme Reporterre, d'un média en ligne sur l'actu sociale comme Bastamag ou encore d'une revue lesbienne comme Well Well Well. Et désormais, d'un média LGBT+ de référence comme Komitid.
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