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Journaliste en prison : Deniz Yücel, symbole de la discorde entre Berlin et Ankara

Alors que le Premier ministre turc est en visite à Berlin, l’Allemagne a marqué le premier anniversaire de l’emprisonnement du journaliste germano-turc, Deniz Yücel, détenu à Istanbul sans charge d’accusation formelle.

Le 14 février 2017, le correspondant du quotidien allemand "Die Welt" à Istanbul, Deniz Yücel, se rendait à la police après avoir appris l’existence d’un mandat d’arrêt contre lui et d’autres journalistes. Leur point commun : avoir mis en cause le ministre de l’Énergie – et gendre du président Erdogan –, Berat Albayrak, dans des affaires de corruption

Après deux semaines de garde à vue, Deniz Yücel était placé en détention provisoire à la prison de Silivri, en banlieue d’Istanbul. Un an plus tard, il est toujours incarcéré en Turquie et aucun acte d’accusation ne lui a encore été présenté. Officiellement, l’enquête ouverte contre lui porte sur une interview réalisée avec un responsable du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation considérée comme terroriste par Ankara, et des messages sur les réseaux sociaux.

Fourchette en plastique et sauce tomate

Pour le premier anniversaire de son incarcération, et à l’occasion de la visite en Allemagne du Premier ministre turc, Binali Yildirim qui rencontre Angela Merkel le 15 février, des manifestations ont eu lieu à Berlin. Véhicules et vélos décorés de ballons en forme de cœur rouge ont défilé mardi dans la capitale allemande pour réclamer sa libération et celle des autres journalistes détenus en Turquie.

Mardi soir, le livre que Deniz Yücel a écrit depuis sa cellule a également été présenté au public. Intitulé "On n’est pas ici pour s’amuser", l’ouvrage, qu’il a réussi à faire sortir clandestinement de prison, fait le récit de ses conditions de détention, particulièrement dures.

Né en Allemagne de parents turcs, le reporter de 44 ans n’a eu droit à la visite d'un représentant consulaire allemand qu’au bout de deux mois, affirme RSF. Il a longtemps été soumis à un isolement sévère, restreignant les visites de ses proches et de son avocat, et interdisant toute correspondance. Ces mesures n’ont été levées qu’à la fin de l’année 2017.

"Deniz Yücel a été maintenu à l’isolement total pendant longtemps. Pour tuer le temps, il a écrit un livre. Et, pour la petite histoire, il a écrit avec une fourchette en plastique et de la sauce tomate entre les lignes d’un livre qu’on lui avait donné", précise Luc André, correspondant de France 24 en Allemagne.

Journaliste en prison : Deniz Yücel, symbole de la discorde entre Berlin et Ankara

Sa libération, condition du réchauffement diplomatique

Au-delà de la petite histoire, le journaliste Deniz Yücel semble faire les frais d’une crise diplomatique latente entre la Turquie et l’Allemagne. Depuis les purges en Turquie qui ont suivi le putsch manqué contre le président Recep Tayyip Erdogan en juillet 2016, les deux pays, liés notamment par une importante communauté turque en Allemagne, ont multiplié les pommes de discorde.

"Il est clair que les autorités turques ont fait de Deniz Yücel un otage dans leur crise diplomatique avec l'Allemagne. Sa détention sans fondement viole tous les principes du droit turc et les conventions internationales ratifiées par Ankara", a dénoncé mercredi dans un communiqué Erol Önderoğlu, représentant de RSF en Turquie.

Outre-Rhin, Deniz Yücel est devenu l’incarnation de la dérive autoritaire du président Erdogan. "L’engagement politique en faveur de sa libération est tel que sans sa libération, il n’y aura pas de réchauffement possible des relations entre Berlin et Ankara", estime Luc André.

La Turquie laisse planer un espoir

Depuis le début de l'année, Ankara a donc quelque peu infléchi ses positions et tente de renouer avec Berlin. Pour la première fois mercredi, le Premier ministre turc, Binali Yildirim, a laissé "espérer" la libération prochaine du journaliste. " Je suis d'avis qu'il y aura une évolution sous peu", a affirmé M. Yildirim dans un entretien à la chaîne publique allemande ARD. "Ce n'est pas moi qui prends la décision", a toutefois ajouté le Premier ministre turc. "Ce sont les tribunaux", a-t-il souligné, assurant que la Turquie était "un État de droit".

De son côté, le chef de la diplomatie allemande, Sigmar Gabriel, a également affirmé "espérer une décision positive prochaine du tribunal turc indépendant". Il a expliqué avoir mené "des discussions intensives" ces derniers jours et semaines, lesquels ont notamment été émaillés de "rencontres personnelles" avec son homologue turc, Mevlüt Cavusoglu, pour tenter de débloquer la situation.