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Nul n’est prophète en son pays… ou du moins sur son continent. Le premier pape argentin a pu vérifier la maxime pendant sa visite au Chili, un pays qui se détourne de plus en plus d’une Église minée par les affaires de pédophilie.

Pour sa sixième visite latino-américaine, dans l’avion qui le menait au Chili, le pape François affirmait aux journalistes bien connaitre le pays pour y avoir vécu, étudié, et maintenu de nombreuses relations amicales.

Mais le Chili a beaucoup changé depuis les années où François était prêtre jésuite dans le pays. Le catholicisme y est certes fortement implanté, mais il est en perte de vitesse. Un baromètre publié à la veille de sa visite, du 15 au 18 janvier, montre que le Chili est le pays latino-américain qui à l’opinion la plus négative du pape. Basée sur 20 000 entretiens, l’étude montre un taux d’approbation à peine supérieur à 50 %, alors qu’il se situe à 75 % en Colombie ou à 80 % au Brésil.

Les causes multiples du rejet de l’Église au Chili

Il y a d’une part les ultraconservateurs qui, depuis début de son pontificat, le soupçonnent d’être un "crypto-marxiste" et un adepte de la théologie de la libération. Lors de sa précédente visite sur le continent, en Colombie, au mois de septembre, le pape s’était vu qualifié de "populiste de la foi qui veut contenter tout le monde" par José Galat, un universitaire cathodique et catholique influent.

Surtout, l’affaire des prêtres pédophiles chiliens couverts par l’Église poursuit le pape François. Après une rencontre privée avec les victimes mardi, il aura passé beaucoup de temps à évoquer la question des abus sexuels au sein de l’Église et a par deux fois demandé pardon. Son regard aura peut-être aperçu des banderoles déployées à son passage sur lesquelles on pouvait lire : "Complice des pédophiles". Ses oreilles auront sans doute entendu les affrontements qui ont eu lieu entre la police anti-émeute et des manifestants à quelques pâtés de maison de la grande messe en plein air qu’il a donnée mardi à Santiago.

Crise de confiance

Cette ambiance délétère est aux antipodes de la précédente visite papale au Chili. En 1987, Jean-Paul II avait rassemblé des foules où se mêlaient opposants et partisans du général Pinochet.

"Nous vivions en pleine dictature et l’Église était l’unique institution qui avait une certaine liberté d’expression" raconte Carlo Lira, un prêtre salésien (une congrégation catholique active dans le domaine de l’éducation) au quotidien argentin La Nacion. À Valparaiso, 7 000 universitaires qui avaient participé à une manifestation interdite contre la dictature avaient été conviés à assister à une grand-messe papale au premier rang.

L’Église était alors l’institution la plus respectée des Chiliens. Trente ans après la visite du pape polonais, laïques et catholiques se montrent plutôt critiques à l’encontre du pape argentin.

Dans les colonnes du quotidien El Pais, Felipe Berrios, un jésuite chilien défenseur des sans-abris, estime que "la société chilienne est beaucoup plus critique que celle qu’avait rencontré Jean-Paul II. Le Chili s’est résolument engagé dans la voie du changement, notamment avec les réformes de [la présidente] Michelle Bachelet qui, pour la première fois dans ce pays, a considéré que l’éducation est un droit."

Pour Luis Bahamonde, professeur en sciences religieuses à l’Université du Chili, "ces dernières années, l’Église a perdu beaucoup de la confiance qu’on lui accordait en raison de son incapacité à comprendre les changements qui sont intervenus depuis 10 ans, notamment autour de la question de l’avortement et du mariage homosexuel, qui sont devenus des terrains d’affrontement".

Un pape latino en terrain miné

Avant de s’envoler jeudi pour le Pérou, le pape François abordera la question des victimes de la dictature chilienne et la situation des indigènes Mapuche dans le sud du pays. Le Pape argentin va également tenter de se tenir éloigné d’une vieille querelle entre Chiliens et Boliviens. Privée par le Chili de 600 km de côtes depuis 1884 et sa défaite lors de la guerre du Pacifique, la Bolivie n’a de cesse de réclamer un "accès à la mer".

Le 11 janvier, Evo Morales, le président bolivien, a tenté par un tweet de recruter François dans sa croisade contre les "chilenos", assurant que le pape argentin a pris fait et cause pour les "justes demandes" boliviennes.

« L’ex ambassadeur d’Argentine au Vatican a déclaré que notre frère le pape François s’est engagé à ce que la Bolivie ait un accès à la mer et poussera le Chili à trouver un accord » .

El exembajador de Argentina en el Vaticano, Eduardo Valdés ratifica que el hermano Papa Francisco, se comprometió con la salida Mar para Bolivia y buscará un acuerdo con Chile. Nuestra demanda #MarParaBolivia se fortalece y crece como el mar que injustamente nos arrebataron.

  Evo Morales Ayma (@evoespueblo) 11 janvier 2018

L'Amérique latine est décidément un terrain semé d’embûches pour le pape François, qui n’a d’ailleurs toujours pas remis les pieds en Argentine depuis son élection, de peur d’être pris en otage par les violentes querelles politiques qui agitent également sa terre natale.