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Annoncée en novembre par Emmanuel Macron, la politique de rapatriement "au cas par cas" des Français de l'EI capturés en Syrie et en Irak, notamment les femmes et enfants, est mise à l'épreuve par des demandes de retour relayées par les avocats.
Les Françaises parties en Syrie rejoindre l'organisation État islamique et aujourd'hui aux mains des forces kurdes devront être jugées sur place, quand les institutions à même de leur assurer un procès équitable existent, a déclaré, jeudi 4 janvier, le gouvernement français.
La ministre de la Justice a réaffirmé en marge d'une visite à la prison de Fleury-Mérogis (Essonne) que Paris traiterait les situations "au cas par cas avec l’idée que les personnes doivent être jugées dans les pays où elles ont été interpellées".
"Lorsque ces pays ont des institutions judiciaires qui sont reconnues, eh bien elles seront jugées dans ces conditions-là, dans ces pays-là", a dit Nicole Belloubet à la presse. "Lorsque la situation est plus compliquée, nous allons travailler avec l’ensemble des institutions que nous reconnaissons, les institutions humanitaires comme La Croix-Rouge, pour nous assurer que les conditions d’un procès équitable puissent effectivement être mises en place."
Le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, avait dit à BFMTV que ces jeunes femmes avaient vocation à être jugées "là-bas" si les conditions d'un procès équitable existaient. La question embarrasse apparemment les autorités françaises, alors que plusieurs de ces femmes, mères de famille, ont demandé à être rapatriées avec leurs enfants et jugées en France.
"Nous ne sommes pas des repenties mais des victimes d'une propagande"
C'est le cas notamment d'Emilie König, 33 ans, mère de cinq enfants dont trois nés sur place, radicalisée en 2010 au contact d'un mari algérien, qui est allée dès 2012 en Syrie, où elle a rejoint Daech. Elle est notamment soupçonnée d'avoir été une recruteuse de cette organisation extrémiste.
Selon son avocat, Me Bruno Vinay, la jeune femme a été arrêtée il y a environ un mois chez elle, et non les armes à la main comme cela avait été dit par Benjamin Griveaux sur BFM TV. Elle a fait savoir par l'intermédiaire de son avocat qu'elle était à la disposition de la justice et des autorités françaises "dans un esprit de coopération". "Elle en appelle aux autorités publiques pour faciliter l'exécution de son mandat d'arrêt et lui permettre de s'expliquer devant la justice", a ajouté Me Vinay.
Une autre jeune Française, semble-t-il détenue avec Emilie König et d'autres compatriotes dans un camp kurde en Syrie, à proximité de la frontière turque, selon une source familière du dossier, en a pour sa part appelé au président Emmanuel Macron.
"Nous vous écrivons cette lettre afin que vous sachiez que des Françaises sont détenues dans un camp kurde en Syrie dans des conditions inadmissibles, avec des enfants, après avoir fui Daech et avoir ouvert les yeux sur ce groupe", écrit-elle dans un message dont Reuters a eu copie.
"Nous ne sommes pas des repenties mais des victimes d'une propagande [à laquelle] nous n'avons jamais adhéré", ajoute cette mère de deux enfants en bas âge, nés en Syrie. "C'est pourquoi nous vous demandons de nous rapatrier. Nous sommes prêtes à assumer nos actes." Son avocate, Me Marie Dosé, a également écrit au chef de l'État pour faire état du souhait de sa cliente, poursuivie pour association de malfaiteurs.
"Le départ en Syrie de ces djihadistes est avant tout un problème français"
Pour Benjamin Griveaux, la question est surtout de savoir s'il y a au Kurdistan syrien "des institutions judiciaires à même d'avoir un jugement respectueux des droits de la défense".
Tout en estimant que Benjamin Griveaux n'avait "pas fermé la porte" à un rapatriement et un jugement en France, Me Bruno Vinay, interrogé par Reuters, a déploré un manque de courage. Benjamin Griveaux rappelle certes une règle de droit international mais le Kurdistan syrien n'est pas un État et ne dispose pas d'institutions judiciaires internationalement reconnues, fait valoir l'avocat d'Emilie König.
"Le départ en Syrie de ces djihadistes est avant tout un problème français", a-t-il poursuivi. "Il faut avoir le courage et la responsabilité politique de les juger dans le cadre des institutions françaises, qui sont légitimes."
Me Vinay dit avoir engagé des démarches avec les Kurdes et les autorités françaises depuis plusieurs semaines mais admet qu'il faudra sans doute des mois pour débloquer la situation. Me Dosé regrette pour sa part qu'aucune Française détenue n'ait eu jusqu'ici de contact direct ou indirect avec les autorités ou les services de renseignement français.
Avec Reuters