Le Canard enchaîné a publié une note du gouvernement d'Édouard Philippe confirmant son intention de renforcer le contrôle des chômeurs. L'économiste Bertrand Martinot estime que cette réforme gagnerait à être doublée d'un meilleur accompagnement.
Le Canard enchaîné a dévoilé dans son édition du mercredi 27 décembre les grandes lignes d'une "note confidentielle" du ministère du Travail visant à renforcer le contrôle des chômeurs pour favoriser leur retour à l’emploi.
Selon les scénarios envisagés par le gouvernement, un chômeur pourrait voir son indemnisation baisser de 50 % pendant deux mois en cas de refus d’une formation ou de rejet de deux offres d’emploi "raisonnables" . Par ailleurs, il est question de mesurer sa bonne volonté via un "rapport d’activité mensuelle" détaillant ses démarches pour trouver un emploi.
Ces mesures avaient déjà été évoquées, dans des termes moins précis, par Emmanuel Macron, notamment dans son programme qui proposait un "contrôle accru de la recherche d’emploi". À l'époque comme aujourd'hui, elles font vivement réagir. Le débat tourne notamment autour d’une comparaison avec un supposé "modèle danois". L’économiste Elie Cohen a ainsi estimé sur France Inter : "C’est le système de flexisécurité du modèle danois qu’on essaie d’importer en France, avec un suivi individualisé". Le 26 décembre, le JT de TF1 traçait aussi le parallèle, expliquant que la piste du gouvernement "s'inspire des expériences menées ailleurs en Europe, notamment au Danemark".
Bertrand Martinot, économiste spécialiste du marché du travail, collaborateur régulier du très libéral Institut Montaigne et auteur de "Chômage : inverser la courbe" (2013) nous livre son analyse. Selon lui, cette réforme ne supporte pas la comparaison avec le modèle danois, mais elle pourrait néanmoins s'avérer efficace combinée à de véritables mesures d'accompagnement en plus des mesures de contrôle envisagées.
France 24 : En quoi consiste la réforme dévoilée par le Canard enchaîné ?
Bertrand Martinot : Le document publié par le Canard ne révèle pas grand-chose : cette mesure était déjà dans le programme d’Emmanuel Macron et dans le document que le gouvernement a envoyé aux partenaires sociaux. La note du ministère propose principalement de durcir des sanctions [diminuer de 50 % au lieu de 20 % auparavant l’allocation chômage en cas de refus de deux offres d’emploi, NDLR]. Mais il faut garder à l’esprit que ces sanctions existent depuis 2008. Je le sais pour avoir été conseiller à l’Élysée lorsque le président Nicolas Sarkozy avait intégré cette mesure au code du Travail.
Sur le fond, tous les outils sont donc déjà en place : il faudrait juste faire en sorte qu’ils soient vraiment utilisés. La vraie information, qui n’est pas dans l’article du Canard enchaîné, c’est que le gouvernement envisage de faire passer de 200 à 1 000 le nombre de contrôleurs qui appliqueraient ce suivi des chômeurs pour Pôle emploi. Il y a très peu de contrôleurs actuellement, c’était donc trop difficile d’appliquer la mesure de 2008. Il n’y avait pas les moyens humains.
Cette mesure s’inspire-t-elle vraiment d’un "modèle danois" ?
Au Danemark, les chômeurs sont surtout très suivis : on les bombarde d'emails, de demandes, de choses à faire. On ne les laisse pas en jachère pendant des mois, on les accompagne beaucoup plus. La formation des chômeurs danois est beaucoup plus régulière dans le temps. C’est vrai qu’avec leur faible taux de chômage, c’est plus facile à mettre en œuvre [selon Eurostat, le Danemark affichait un taux de chômage de 5,6 % en octobre 2017, contre 9,4 % en France, NDLR].
En France, les chômeurs sont beaucoup plus livrés à eux-mêmes. Ils le seront moins avec cette réforme, même si elle met encore trop l’accent sur le contrôle et pas assez sur l'accompagnement. Il vaudrait mieux, comme au Danemark, les bombarder d’offres de formation, de renseignements et d’informations.
La frontière entre accompagnement et contrôle est floue : si vous ne proposez pas de formation à quelqu’un, vous ne pouvez pas le sanctionner en cas de refus. Si vous laissez un chômeur sans nouvelles pendant six mois, il est difficile de le rappeler à l’ordre par la suite. Donc ce pan de la réforme ne suffit pas à dire que l’exécutif s’inspire du modèle danois. En revanche, on s’en approche un peu plus si on considère le plan d’investissement dans la formation professionnelle de 15 milliards d’euros sur cinq ans, ainsi que les réformes du marché du travail [dont les détails se négocieront désormais par accord d’entreprise plus que par accord de branche, NDLR].
Pensez-vous que ce soient des réformes efficaces ?
Oui, ce serait une très bonne chose de tendre vers le modèle danois. Mais encore une fois, ce n’est pas qu’une question de contrôle : il faut s’occuper des chômeurs, les former. En France, les relations avec le service public de l’emploi doivent être améliorées. Laisser mariner les chômeurs comme on le fait parfois actuellement, ça ne sert à rien. Mais renforcer le contrôle tout en renforçant les moyens de Pôle emploi et la formation professionnelle sont des mesures, qui combinées, ont tout son sens.
C’est le problème de ce que présente le Canard enchainé : le contrôle des chômeurs n’est qu’un volet de la réforme. Il faut que le service public de l’emploi monte en gamme, sinon le gouvernement aura seulement l’air de victimiser les chômeurs.