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"On va tirer sur les voyous" : la méthode forte de la police iranienne face à la criminalité
"Désormais, on va tirer sur les voyous" : c'est ce qu'a déclaré le chef de la police iranienne en avril, alors que le pays est confronté à une hausse de la criminalité. Depuis, les médias d'État diffusent régulièrement des vidéos montrant de supposés "voyous" arrêtés, sur qui la police aurait tiré dans les jambes. Mais des sociologues estiment que cette réponse de la police n'est pas adaptée et qu'il faut s'attaquer aux causes profondes de la criminalité, comme la pauvreté et les inégalités.
Par : Alijani Ershad Suivre

Les images d'agressions violentes et de vols sont devenues courantes en Iran, comme le montrent de nombreuses vidéos enregistrées par des caméras de vidéosurveillance ou des téléphones portables, qui sont ensuite publiées sur les réseaux sociaux.

Certaines de ces agressions ont déjà entraîné la mort des victimes. Un étudiant de l'université de Téhéran, Amir Khaleghi, est ainsi décédé à l'hôpital après avoir été attaqué par deux voleurs qui l'ont poignardé dans le cou, tout en lui volant son sac à dos, le 12 février. Les images de vidéosurveillance de l'attaque ont déclenché plusieurs jours de protestations et de grèves à l'université de Téhéran. Quelques jours plus tard, la police a déclaré avoir arrêté les voleurs.

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Depuis plus d'une décennie, la société iranienne est confrontée à une hausse de la criminalité, en particulier des délits violents. Alors que le nombre de vols signalés à la police était de 222 pour 100 000 habitants en 2006, il était de 1 100 en 2023, selon le Centre statistique de l'Iran.

"On va tirer sur les voyous" : la méthode forte de la police iranienne face à la criminalité

Les statistiques du gouvernement font également état d'une forte augmentation du nombre d'homicides, de vols avec violence et des rixes dans les rues.

Les analystes qui suivent ces sujets en Iran estiment toutefois que la hausse de la criminalité est probablement sous-estimée par les chiffres officiels.

Alors que la police est de plus en plus critiquée pour son incapacité à lutter contre la criminalité, Ahmad-Reza Radan, le chef de la police iranienne, a déclaré, le 7 avril, qu'ils allaient désormais "tirer sur les voyous".

À la suite de cette annonce, la police iranienne a commencé à diffuser des vidéos montrant de supposés "voyous" arrêtés, à qui l'on aurait tiré dans les jambes.

La police et les médias d'État qualifient régulièrement les criminels de "voyous". Dans un reportage de la télévision d'État, on voit ainsi le commandant de la police de Téhéran, Abasali Mohammadian, réprimander l'un de ses officiers au sujet d'un "voyou" arrêté, en lui demandant "pourquoi il est indemne". L'officier s'excuse ensuite.

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Dans un autre reportage de la télévision d'État, un homme présenté comme un "voyou" affirme depuis son lit d'hôpital : "La police m'a tiré dessus cinq fois." Un autre dit : "On m'a tiré dessus huit fois, quatre fois dans cette jambe, quatre fois dans l'autre."

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Le 22 mai, le commandant de la police de Téhéran a déclaré : "La criminalité a chuté de 33 % ces derniers jours parce que les criminels savent que nous leur tirons dessus sans hésitation. Rien qu'au cours des 48 dernières heures, nous avons tiré sur cinq voleurs, qui ont été arrêtés."

"La réponse de la police fait partie du problème, et non de la solution"

Mais selon des experts, cette démonstration de force n'aurait aucun effet dissuasif. Simin (pseudonyme) est une sociologue iranienne, dont nous avons choisi de maintenir l'anonymat, en raison des risques qui existent à parler à des médias étrangers : 

La réponse à court terme des autorités, qui exacerbe la violence, fait partie du problème, et non de la solution.

Ce n'est pas la première fois que cette approche est adoptée. Le régime a tendance à réagir de manière punitive, en privilégiant la criminalisation au détriment des programmes sociaux de prévention.

Le système juridique iranien a été façonné davantage par l'idéologie que par des considérations pratiques concernant ce qui définit un comportement criminel, ou non. Par conséquent, beaucoup de gens perçoivent les lois comme étant arbitraires ou injustes, ce qui encourage la défiance.

Accroître la sévérité des peines est largement inefficace. Si l'on veut que la violence cesse, il faut s'attaquer  aux causes profondes : c'est cela dont la société a besoin. Il faut une réforme avec des mesures de prévention et des mesures sociales sur le long terme, et non une simple réponse répressive.

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"La violence ne fait qu'engendrer plus de violences"

Karoun (pseudonyme) est un sociologue iranien. Lui aussi porte un regard critique sur les méthodes de la police iranienne. 

La violence ne fait qu'engendrer plus de violences, à la fois dans la société en général et dans la façon dont les crimes sont commis. Ces mesures de répression à court terme, sporadiques et arbitraires, sont inefficaces.

Les Iraniens voient rarement la police dans les rues, sauf quand il s'agit d'arrêter des femmes qui ne portent pas le hijab, une action souvent menée avec violence. D'une manière générale, les policiers sont davantage perçus comme des agents de contrôle politique et social que comme des garants de la sécurité.

La police ne peut pas décider de tirer sur les gens quand elle le souhaite. Ils ignorent les lois et le reconnaissent d'ailleurs publiquement. 

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"Si l'on ne s'attaque pas à la pauvreté, aux inégalités et aux défaillances du gouvernement, la criminalité va continuer d'augmenter"

Simin poursuit :

Des enquêtes montrent que près de la moitié de la population iranienne s'attend à une aggravation de la criminalité et de la violence. Et les statistiques officielles, même si elles ne sont pas fiables, reflètent une tendance à la hausse des crimes commis en Iran, qui peut être expliquée par plusieurs facteurs.

Cette hausse est largement due à la pauvreté chronique, à l'inflation et au chômage qui alimentent le désespoir. Les lois et les plans de développement de l'Iran entraînent une augmentation de la pauvreté et des inégalités, et donc de la criminalité, en soumettant les gens à un stress constant.

Par exemple, de nombreux Iraniens estiment qu'on leur refuse des opportunités d'emploi simplement parce qu'ils n'ont pas de relations au sein du régime, qu'ils ne sont pas affiliés aux Basij, la force paramilitaire des Gardiens de la révolution.

"Le stress quotidien alimente un climat de violence" 

Quatre décennies de révolution, de guerres et de conflits ont également exposé la société iranienne à des traumatismes et à une instabilité chroniques. L'agitation politique - en particulier la répression violente des manifestations "Femme, vie, liberté" au cours des trois dernières années - et les deux moments où le pays s'est retrouvé au bord de la guerre avec Israël ont accru le stress quotidien, l'anxiété et la peur de la population, alimentant un climat de violence.

Il est bien connu que les populations exposées à un stress et à une insécurité persistants - qu'il s'agisse de discrimination, de crises ou de catastrophes - sont nettement plus enclines à réagir violemment.

De plus, des années de promesses non tenues, de répression et d'application inégale des lois ont érodé la confiance des gens dans les institutions iraniennes. Cela décourage la coopération avec les autorités, comme le fait de dénoncer les crimes, et affaiblit la cohésion de la société.

Les agressions, les vols et les violences domestiques font désormais l'objet de reportages quasi quotidiens, ce qui renforce la perception d'une société en proie à la criminalité. Si l'on ne s'attaque pas aux causes profondes - la pauvreté, les inégalités et les défaillances du gouvernement - la criminalité va continuer d'augmenter.

Lors d'une réunion sur la prévention de la criminalité, le 15 mai, un porte-parole du système judiciaire iranien, Asghar Jahangir, a déclaré qu'environ 80 % des crimes commis en Iran étaient dus à l'inflation et à la hausse des prix.