L'ancien président du Yémen Ali Abdallah Saleh a appelé samedi l'Arabie saoudite à "tourner une nouvelle page" après trois années de guerre. Un appel salué par Riyad mais qui ne signifie pas pour autant la fin du conflit, selon les spécialistes.
L'ancien président yéménite Ali Abdallah Saleh, qui a annoncé, samedi 2 décembre, souhaiter "tourner la page" dans les relations avec l'Arabie saoudite, rompt ainsi une coalition de plus de trois ans avec les rebelles houthistes. Ces milices chiites, soutenues par l'Iran, ont pris le contrôle de Sanaa en mars 2015.
Après plus de trois ans de guerre, la fin de la coalition rebelle apparaît comme "un tournant majeur" dans le conflit. Explications.
- Pourquoi l'ancien président Ali Abdallah Saleh a-t-il décidé de rompre son alliance avec les rebelles houthistes ?
Cette annonce était prévisible : elle se révèle être la conséquence logique de cinq mois de divergences entre l’ancien président Saleh et les Houthis, qui se sont déjà opposés par le passé lors d’affrontements armés. La nuit dernière, la crise a atteint son paroxysme, lorsque les forces de chaque camp se sont affrontées et qu'une sorte de guérilla a commencé dans les rues de Sanaa, commente la journaliste saoudienne Afrah Nasser dans son billet de blog "La bataille pour Sanaa", publié dimanche 3 décembre.
Le mouvement chiite houthiste, qui se réclame du zaïdisme (courant chiite le plus proche du sunisme), et le parti de l’ancien président Saleh (sunnite) n’ont jamais partagé la même idéologie. "Saleh a conduit six guerres successives, entre 2004 et 2011, contre les rebelles chiites, avant de se rallier à eux en 2014", précise Franck Mermier, directeur de recherche au CNRS. "Cette alliance était purement conjoncturelle car ils partageaient à l’époque les mêmes objectifs : la prise du pouvoir de Sanaa et pousser le président Hadi, élu en 2012, à la démission."
Aujourd'hui, cette coalition ne tient plus pour de nombreuses raisons : "Les Houthis avaient pour habitude d'occuper tous les espaces du pouvoir et de monopoliser les principales fonctions notamment au sein de l'armée, dont une grande partie est restée fidèle au président Saleh", ajoute le spécialiste de la région.
- Qu'espère l'ancien président yéménite en tendant la main à l'Arabie saoudite ?
"Il espère tout simplement tirer son épingle du jeu. Il voit bien que cette guerre est catastrophique, commente le chercheur Franck Mermier. C'est un choix purement stratégique de la part de l'ancien président Saleh, ajoute l'islamologue. Après trois ans de conflit, il semble vouloir prendre une option sur l'avenir dans l’optique d'un partage du pouvoir en vue d'éventuelles négociations."
- Cela signifie-t-il la fin de la guerre ?
Ce revirement est "clairement un moment déterminant [dans le conflit au Yémen] mais cela ne signifie pas pour autant la fin de la guerre", estime la journaliste saoudienne Afrah Nasser. Si les miliciens houthis sont aujourd'hui isolés, ils constituent "une force non négligeable", estime l’islamologue Franck Mermier. Depuis sa prise de pouvoir en mars 2015, le groupe chiite a mis la main sur une grande partie des arsenaux de l’armée et a également pris part au commandement de certaines unités. Il contrôle la région nord de Saada, ainsi que la capitale. À Amran, à 50 km de la capitale, les fidèles de l’ancien président Saleh ont été obligés de cesser le combat.
La rupture de ce camp rebelle devrait toutefois changer les rapports de force. Pour la première fois, dans la nuit du samedi 2 au dimanche 3 décembre, la coalition saoudienne est venue soutenir les forces de l’ancien président Saleh qui combattaient depuis cinq jours les miliciens pro-iraniens à Sanaa en bombardant des positions houthies.
Après trois années de guerre et de bombardements, ce divorce se joue en faveur de Riyad, qui pourrait envisager une levée du blocus, afin de permettre un afflux d’aide humanitaire dans le pays, estiment les spécialistes de la région. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que le conflit a fait, depuis l'intervention de la coalition militaire arabe en mars 2015, plus de 8 750 morts et 50 600 blessés, dont de nombreux civils.
Par ailleurs, les Saoudiens veulent vraiment une sortie de crise sans perdre la face. "Ils gaspillent des milliards de dollars dans leurs transactions d'armements pour se battre dans une guerre impossible à gagner", souligne Afrah Nasser.
- Qui contrôle Sanaa aujourd'hui ?
La situation est très confuse sur le terrain : les combats sont très intenses ces derniers jours dans la capitale et des informations contradictoires circulent sur les avancées des deux camps. "À 50 km de Sanaa, des tribus fidèles à l’ex-président Saleh se battent contre les Houthis", indique Franck Mermier, qui parle de "guerre généralisée" entre les rebelles.
Les combats qui ont lieu depuis cinq jours ont fait des dizaines de morts, rapporte le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans un tweet daté du dimanche 3 décembre.
Dozens killed in fierce fighting in Sana'a, #Yemen. Hundreds more injured.
Our call to all parties:
* Civilians are not part of the fight - they must be protected.
* The injured must be allowed to be evacuated for medical care - it's a matter of life or death.