Ce pays n'existe pas mais, au Cameroun, une partie des anglophones sont déterminés à le rendre bien réel. En un an, ce qui n'était au départ qu'un mouvement de revendications corporatistes a mué en crise sécessionniste, alimentée par le sentiment de marginalisation des anglophones par les francophones camerounais. Rencontre avec ces acteurs-clés qui, dans l'ombre ou en pleine lumière, veulent créer ce nouvel État.
C'est un voyage dans un pays imaginaire. Un État encore virtuel que ses défenseurs sont déterminés à rendre bien réel… Une contrée anglophone qui recouperait les frontières des deux provinces anglophones actuelles du Cameroun. En un an, ce qui n'était au départ qu'un mouvement de revendications corporatistes d'enseignants et d'avocats a mué en crise sécessionniste, alimentée par le sentiment de marginalisation des anglophones par les francophones. Une crise qui a déjà fait des dizaines de morts.
Aline, 14 ans, a reçu une balle dans la maison de son père le 1er octobre dernier. Un jour choisi par les séparatistes camerounais pour proclamer leur République, dénommée Ambazonie. Une proclamation qui a été sévèrement réprimée.
La famille d'Aline habite à Kumbo, un bastion sécessionniste au sein des deux provinces anglophones du Cameroun. Des régions désormais appelées Ambazonie par les partisans de l'indépendance. L'Ambazonie, un pays aujourd'hui virtuel, un État encore fantôme, un rêve indépendantiste vieux de 56 ans ressuscité par des activistes. Vincent Jumbam, 70 ans, est de ceux-là.
"Je suis de ce pays-là"
Dans son salon se dressent plusieurs petits drapeaux blancs et bleus. "C'est le drapeau de l'ancien territoire du Cameroun anglophone. Un super drapeau, je vous le dis… Je le respecte beaucoup, je l'ai dans tous les coins de ma maison. C'est le symbole d'un nouveau pays, l'Ambazonie. C'est lui qui nous rend si patriote. Je suis de ce pays-là."
Le téléviseur de Vincent ne diffuse qu’une seule chaîne : celle de la Southern Cameroon Broadcasting Center, la télévision de l'Ambazonie pourtant déclarée illégale par les autorités camerounaises. Un outil de propagande de la cause sécessionniste diffusée depuis l'étranger.
Une chaîne de télé, un drapeau… Ce n’est pas assez pour le vieux militant. "Nous devons avoir notre propre armée qui devra prendre en charge nos affaires, dit-il. Ici, dans nos communautés, nous nous tenons aussi prêts à toute éventualité. Nous n'attendons plus que des instructions. Nous avons toujours la République du Cameroun sur notre territoire. Nous devons examiner toutes les possibilités pour les chasser de chez nous pour que nous puissions gérer notre économie, gérer nos administrations et nous occuper de nos propres affaires"
Ambazonie, un nom tiré de l'histoire et de la géographie. Un mot prenant sa source sur les rives du fleuve Moungo, barrière naturelle entre le Cameroun francophone et anglophone. Tout près, Ambas Bay, une terre britannique découverte par le missionnaire Alfred Saker dès 1858. Ambas Bay a donné son nom à cette République fantasmée.
Une République qui entend établir sa capitale à Buéa, chef-lieu de l'autre province anglophone du Cameroun. Dans les rues des dizaines d'unités de militaires et policiers armés. Tous sur le qui-vive, depuis que des attentats ont visé bâtiments publics et forces de sécurité.
"Je suis prêt à mourir"
Pour rencontrer les leaders indépendantistes d'Ambazonie, il faut toutefois se rendre hors du Cameroun. Notamment dans le pays voisin, le Nigéria anglophone, refuge d'activistes camerounais ayant créé un gouvernement provisoire en exil dirigé par Sisuku Ayuk Tabe Julius. Il se fait appeler "président" et est devenu l'ennemi public numéro un du régime camerounais.
"Je suis le président de la République fédérale d'Ambazonie. Nous allons nous séparer. Nous avons retrouvé notre indépendance. Nous n'allons que discuter les termes de notre cette séparation et puis nous allons bâtir un pays magnifique que je vous invite à venir voir dans quelques années pour que chacun puisse être témoin de ce que nous disons aujourd'hui", déclare-t-il.
Mis en cause par un journal au Cameroun pour détournement de fonds d'une entreprise publique - ce qu'il nie -, cet ingénieur informaticien organise la bataille pour la naissance de l'Ambazonie, financée en grande partie par la diaspora camerounaise anglophone. Action aux Nations unies, lobbying dans les chancelleries occidentales… sans s'interdire l'option militaire : "C'est une option, oui. C'est la lutte pour laquelle je suis prêt à vivre, je suis prêt à combattre, je suis prêt à mourir…"