
Loin des lubies des entrepreneurs californiens fortunés et des rêves marchands de Google, le techno-progressisme veut modérer le transhumanisme et réfléchir à un projet de société qui profite à tous.
BRUXELLES, Belgique. – "Si le transhumanisme porte l'idée que les nouvelles technologies peuvent améliorer la condition de l'homme, le techno-progressisme, lui, veut incorporer à ce projet une réflexion sociétale", explique Didier Coeurnelle à Mashable FR.
On résume bien souvent le transhumanisme à l'homme augmenté, grâce au ralentissement du processus de vieillissement ou encore à l'amélioration des capacités physiques et cognitives. Mais au sein des courants de pensée transhumanistes, il faut en distinguer un qui met l'accent particulièrement sur la vie en société. Ainsi, ce n'est pas seulement l'homme au sens individuel qui devrait être perfectionné, mais la somme d'individus que forme le collectif qui mérite de jouir de ce perfectionnement, sans distinction de classe sociale. "L'objectif n’est pas d’atteindre un utopique 'homme parfait', un Superman stupide, éternel sourire aux lèvres, mais de poursuivre indéfiniment l’idéal de la perfectibilité humaine", peut-on lire dans le texte des valeurs du transhumanisme techno-progressiste.
"Chez certains transhumanistes américains, on retrouve cette idée centrale du dépassement de soi. Or, les défenseurs du techno-progressisme ne veulent pas réduire le transhumanisme à cette visée égoïste. Pour eux, il faut réfléchir aux enjeux du transhumanisme en des termes de vivre ensemble", affirme Didier Coeurnelle. Une préoccupation qui n'a pas toujours existé, au commencement du mouvement.
Le transhumanisme est né de la contre-culture californienne
Dans sa définition traditionnelle, la pensée transhumaniste tire ses racines des États-Unis des années 70. À l'époque, l'impulsion était rebelle et venait de la contre-culture californienne, qui flirtait avec les sphères anarcho-capitalistes et la droite américaine prônant l'ultra-individualisme. Le mouvement s'appelait "Extropy" et se revendiquait d'un libertarisme joyeux, celui qui consisterait à proposer à chacun d'augmenter ses capacités, vivre plus longtemps et coloniser l'espace. Le mythe du self-made man revisité, en somme.
Les techno-progressistes tiennent à prendre leur distance avec le capitalisme débridé
Cet état d'esprit avait notamment séduit un certain nombre d'entrepreneurs tech milliardaires tels que Larry Page ou encore Peter Thiel. Plus tard, alors que le géant Google devenait un mécène du mouvement transhumaniste, notamment en 2013 en soutenant financièrement la création d'une entreprise de biotechnologie Calico pour "tuer la mort", le transhumanisme semble s'être transformé en véritable business. En plus d'être hégémonique dans le domaine des technologies, la firme de Mountain View est apparue décidée à obtenir le même statut dans l'univers de la santé et des biotechnologies.
Cette marchandisation à outrance du transhumanisme déplaît aux transhumanistes techno-progressistes, qui tiennent à prendre leur distance avec ce capitalisme débridé. Pour eux, il est important de ne pas laisser le transhumanisme aux seules mains des géants qui veulent augmenter l'homme sans considération éthique, mais aussi réfléchir au projet de société que dessine l'avènement des nouvelles technologies. Un transhumanisme, d'accord ; mais pour qui ? Comment ? Et en prenant en considération quels risques ?
Accès à tous et gestion des risques
Le transhumanisme ne sera techno-progressiste que s'il garantit un accès universel aux technologies décisives et incorpore une solide réflexion sur les risques sanitaires et environnementaux. "Aussi bien d’un point de vue éthique que pragmatique, on ne peut pas espérer vivre mieux individuellement sans envisager de vivre mieux collectivement : le technoprogressisme, issu du transhumanisme, met l’accent sur les aspects sociaux et environnementaux de ces évolutions", peut-on lire dans un texte de la transhumaniste Virginie Soulabaille.
À l'issu de Transvision, le colloque international réunissant à Bruxelles des transhumanistes du monde entier, du 9 au 11 novembre, et auquel Mashable FR s'est rendu, une déclaration technoprogressiste a été rédigée. On y lit que "le monde est inégalitaire et dangereux. Les technologies émergentes pourraient le rendre largement meilleur, ou bien pire. Malheureusement, trop peu de gens comprennent aujourd'hui la dimension des menaces ou des bienfaits auxquels l'humanité doit faire face. Il est temps pour les technoprogressistes, les transhumanistes et les prospectivistes de renforcer leur engagement politique afin de tenter d'influer sur le cours des événements." L'autre nom du techno-progressisme est le transhumanisme démocratique. On comprend mieux pourquoi.
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