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Amr Moussa : "Le monde arabe n’a pas besoin d’une nouvelle confrontation"

L’exacerbation récente des tensions entre l’Arabie saoudite et le Liban laisse craindre un embrasement au sein de la région. Pour l’Égyptien Amr Moussa, ancien président de la Ligue arabe, le pays du Cèdre doit rester un pays en paix.

Depuis la démission surprise du Premier ministre libanais, Saad Hariri, que celui-ci a annoncé le 4 novembre depuis l’Arabie saoudite, la situation demeure tendue entre Beyrouth et Riyad. Alors que l’ensemble de la classe politique libanaise réclame, dans un rare élan d’unité, le retour au pays de son chef de gouvernement démissionnaire, le royaume wahhabite s’est déclaré "en état de guerre" contre le pays du Cèdre. Dans son viseur : le Hezbollah, allié de l’Iran.

À l’heure où Riyad a demandé à ses ressortissants de quitter le Liban "le plus vite possible", observateurs et diplomates sont inquiets que le pays du Cèdre ait à payer le prix de la rivalité entre les deux puissances de la région que sont l’Arabie saoudite sunnite et l’Iran chiite.

Président de la Ligue arabe entre 2001 et 2011, Amr Moussa se refuse à parler de guerre à venir mais dit craindre pour la stabilité d’un Liban jusqu’alors épargné par les conflits en Syrie et en Irak de ces dernières années. En marge du 10e Forum MEDays qui se tient à Tanger, au Maroc, le diplomate égyptien revient pour France 24 sur la situation au Liban et dresse, plus généralement, un état des lieux du monde arabe.

France 24 : Les récents agissements de l’Arabie saoudite en direction du Liban laissent-ils craindre le pire dans la région ?

Amr Moussa : Depuis ce qu’on a appelé les printemps arabes, la situation dans la région est brûlante. Mais aujourd’hui la région est entrée dans une nouvelle phase de confrontation : celle entre les politiques menées par l’Iran d’un côté et l’Arabie saoudite de l’autre. Ce qui a des répercussions sur les pays voisins comme le Liban, la Syrie, l’Irak et le Yémen. Il faut donc s’attendre à des faits nouveaux dans la région.

Redoutez-vous un conflit ?

Il s’agit d’un conflit. D’un conflit d’influence qui oppose l’Iran et les pays arabes. Mais nous pensons que le Liban doit être épargné par les conséquences de cette rivalité et que son peuple doit pouvoir jouir de la stabilité qui y règne. Nous avons besoin d’un Liban en paix. Le pays est entouré par des voisins en guerre et je reconnais qu’il est difficile pour lui de pouvoir s’extraire lui-même de ces agitations.

Nous suivons de près ce qui se passe depuis la démission de Saad Hariri. La grande interrogation, maintenant, concerne son retour au Liban et j’espère qu’il reviendra.

Nous espérons tous que cela ne virera pas à un conflit armé, qu’il n’y aura pas de guerre et que les différentes parties ont cela à l’esprit. Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle confrontation dans le monde arabe.

Plus généralement, en tant qu’ancien président de Ligue arabe, quel est votre regard sur le monde arabe actuel ?

Le monde arabe traverse la pire crise de son histoire récente. Mais il existe une solution à toute crise. À condition qu’il y ait un minimum de rapprochement et de coopération. En Syrie, par exemple, malgré toutes les difficultés, les pertes humaines et les réfugiés, le monde arabe est absolument unanime sur le fait que le pays doit rester uni.

Mais la réalité, c’est que le monde arabe est profondément divisé, que ce soit dans le Golfe entre le Qatar et ses voisins, ou même au Maghreb, entre le Maroc et l’Algérie ?

Oui, effectivement, il y a des divisions. Et nous en avons bien vu les conséquences catastrophiques ailleurs qu’en Syrie, c’est-à-dire en Irak et au Yémen et nous voyons bien que des pays comme le Liban ou le Bahreïn font aussi face à des menaces.

Mais depuis le printemps arabe, qui a commencé en Tunisie, nous savons que nous sommes tous dans le même bateau et ce à quoi nous aspirons est de nous ouvrir au XXIe siècle. Le monde arabe souhaite franchir une nouvelle étape de son existence, ce qui signifie un développement économique et un système éducatif performants puisque 70 % de la population arabe est constituée de jeunes.

En ce qui concerne votre pays, l’Égypte, le président Abdel Fattah al-Sissi fait face à de nombreuses critiques concernant, notamment, le respect des droits humains…

Les critiques sont normales mais il faut qu’elles soient objectives. L’Égypte fait face à d’énormes difficultés, notamment structurelles, qui sont dues à l’accumulation d’erreurs durant 70 ans. Mais je pense que n’importe quel président [à la place de Sissi] aurait été contraint de prendre des dispositions aussi difficiles. Durant ces quatre dernières années, l’Égypte est devenu plus stable et ce malgré les attaques et agressions des organisations terroristes. En fait, le problème des droits humains concerne tous les pays, y compris les États-Unis, les pays européens et l’Asie, comme le montre la crise des Rohingya.

Est-ce que vous soutenez la position du président Sissi qui a choisi de soutenir l’Arabie saoudite dans la crise avec le Qatar ?

J’ai toujours pensé et je continue de penser que la relation entre l’Égypte et l’Arabie saoudite est une question stratégique pour l’existence même du monde arabe. Et que l’alliance entre ces deux pays doit continuer.

Pourquoi la Ligue arabe n’a pas réussi à désamorcer les crises dans le Golfe et en Syrie ?

Je pense que c’est l’ensemble du système arabe qui a échoué et a conduit à l’échec de la Ligue arabe. Et moi, je suis de ceux qui appellent à un nouvel ordre régional.