Candidate aux sénatoriales du 24 septembre prochain en Seine Saint-Denis, Anina Ciuciu veut faire de son parcours singulier un atout pour mieux porter la voix des exclus.
Son profil détonne avec les statistiques du Palais du Luxembourg composé pour trois-quarts d’hommes et où la moyenne d’âge est de 64 ans. Pourtant, Anina Ciuciu, ancienne étudiante à la Sorbonne et future avocate, née il y a 27 ans en Roumanie dans une famille rom, a décidé de se lancer dans l’"aventure" : devenir sénatrice en Seine Saint-Denis.
Actuellement en stage à Londres chez Amnesty International, elle profite d’une escale à Paris pour donner rendez-vous dans son quartier, le 20e arrondissement de Paris. C’est ici qu’elle habite même si elle passe "la plupart de son temps" dans le 93. Car c’est en Seine Saint-Denis que se trouvent les sièges des deux associations dans lesquelles elle est engagée : "La voix des Roms" et le "Mouvement du 16 mai" en référence à ce jour de 1944 où des Tziganes, au sein du camp d’Auschwitz, se sont insurgés contre les Nazis qui devaient les conduire vers les chambres à gaz. Un engagement qui lui importe : "Le génocide tzigane a été le point culminant d’un racisme qui, je l’espère ne se reproduira jamais. Mais il est important de parler du passé et d’être vigilant parce qu’un peu partout en Europe, on voit réapparaitre des mécanismes de discrimination et de rejet proches de ceux de l’époque".
Mais de l’engagement associatif et militant à la politique, le pas n’a pas été évident à sauter : "Quand on m’a proposé d’être sur la liste Europe Écologie – les Verts (EELV), je n’ai pas tout de suite été convaincue. Pour changer les choses, je ne croyais pas à la politique. Et puis, j’avais eu une première expérience qui ne m’a pas plu…" C’était en 2014, Victor Ponta, le Premier ministre roumain de l’époque, l’avait nommée conseillère honorifique sur la problématique rom. "J’ai arrêté dès que j’ai compris que cela ne changerait rien pour les gens qui souffrent", explique-t-elle.
Pourquoi EELV ? "C’est le mouvement politique dont je me sentais le plus proche : ils ne considèrent pas les Roms comme des 'nuisibles' et puis, la justice sociale est souvent liée à la question environnementale, comme l’accès à un environnement sain, par exemple".
"Les gens qui souffrent"
Comment a-t-elle été persuadée de se présenter aux sénatoriales du 24 septembre prochain qui doivent voir le renouvellement de 171 des 348 sièges ? "En discutant avec les militants, j’ai vu l’enthousiasme que suscitait l’idée de cette candidature. Pour eux, c’est la possibilité que je devienne leur voix. Et sur le terrain, dans les quartiers populaires et dans les bidonvilles, je vois l’espoir que cela crée chez les gens qui souffrent et chez ceux qui se désintéressent de la politique".
"Les gens qui souffrent". L’expression revient souvent dans la bouche d’Anina Ciuciu, tour à tour, pour parler des enfants roms des bidonvilles, des migrants de Calais ou encore des jeunes de banlieues. L’expression fait écho à son histoire, celle qu’elle a raconté dans un livre, "Je suis Tsigane et je le reste". L’histoire d’une petite fille née dans les faubourgs de Craiova, en Roumanie, dans une famille rom sédentarisée qui, victime de discriminations et frappée par le chômage, décide de quitter le pays quand elle à sept ans. De la misère d’un camp de réfugiés roms en Italie à la honte de devoir mendier sur les marchés une fois passée en France, la famille d’Anina Ciuciu alors sous le coup d’une "obligation à quitter le territoire" (OQTF) devra son salut à une certaine "Madame Jacqueline". Grâce à la domiciliation administrative que leur fournit cette institutrice de Bourg en Bresse, Anina et ses sœurs pourront être scolarisées. Si la scolarisation est théoriquement un droit pour tous les enfants sur le territoire français, certains maires exigent une domiciliation administrative.
"J’ai eu de la chance mais cela ne devrait pas dépendre de la chance. L’accès pour tous à l’école de la République, je veux faire tenir cette promesse aux institutions", explique Anina Ciuciu vingt ans plus tard. Outre l’accès à l’école, la lutte contre violences policières et la fin de l'état d'urgence feront partie de ses combats si elle est élue au Sénat.
"Il se trouve que je suis Rom"
La partie n’est pas gagnée car la liste des écologistes en Seine-Saint-Denis n’est pas arrêtée. Fin juillet, sur le Bondyblog, 150 personnalités ont signé une tribune pour que "les partis politiques de l’arc écologiste et progressiste" fassent à Anina Ciuciu "une place en position éligible sur leur liste". Cela suffira-t-il à faire taire ceux qui, à EELV-93, relèvent qu’Anina Ciuciu "n’est pas adhérente et reste inconnue de la majeure partie de nos membres" ? La réponse devrait être connue avant début septembre. Si elle est en position éligible, un autre défi attend Anina Ciuciu : convaincre les grands électeurs, car il s'agit d'un scrutin indirect.
Lorsqu’on lui demande qui l’inspire dans son engagement militant et politique ? Elle cite pêle-mêle Nelson Mandela, Angela Davis, Christiane Taubira, sa mère… et Larissa "qui a vécu dans une tente, à même le sol, place de la République, pendant deux ans, avec ses enfants qui allaient à l’école et son mari qui travaillait". Les exclus, les oubliés, Anina Ciuciu revient toujours à eux. D’ailleurs, si elle est élue au Sénat, elle compte bien leur ouvrir les portes du Palais du Luxembourg en souvenir, notamment, de ces deux jeunes filles croisées à un flashmob organisé par La Voix des Roms qui n’avaient jamais vu Notre-Dame alors qu’elles vivaient à quelques stations de métro de là, dans une HLM du 19e.
En devenant sénatrice, Anina Ciuciu deviendrait la première femme rom dans ce cas, un changement symbolique. "Il se trouve que je suis Rom. J’ai toujours affirmé cette part de mon identité… même lorsqu’on me conseillait de la cacher", explique-t-elle, avant d’ajouter : "Accéder à la représentation publique serait un symbole fort, historique même, en France, le pays des droits de l’Homme et de la Révolution".