Une équipe d’experts de l’ONU a rencontré en juin une centaine de victimes du conflit au Kasaï réfugiés en Angola, qui révèlent de sordides massacres de civils par des milices, et l’implication de l’armée congolaise dans les exactions.
Alors que les violences communautaires continuent de ravager les trois provinces du Kasaï, en République démocratique du Congo, les réfugiés fuient quotidiennement vers l’Angola voisin. Souvent pieds nus, affamés et malades, plus de 30 000 d’entre eux ont été précairement accueillis dans la province isolée du Lunda Norte par un gouvernement angolais débordé, quelques ONG, et le Haut-commissariat aux réfugiés.
Faute de bagages, ces réfugiés apportent avec eux des témoignages glaçants et des blessures tant physiques que psychologiques. Une mission spéciale du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) s’est rendue dans les deux centres d’enregistrement de la province et dans des hôpitaux pour rencontrer 96 d’entre eux. Dans un rapport publié vendredi 4 août, les experts dévoilent des témoignages inédits d’exactions et massacres, mettant en cause toutes les parties du conflit.
"Étant donné la difficulté d’accéder au Kasaï et vu les graves violations présumées des droits de l’Homme y ayant lieu, nous nous sommes rendus en urgence à la rencontre des réfugiés", explique à France 24 Scott Campbell, chef de la section de l'Afrique centrale et occidentale du HCDH et coordinateur de la mission.
Appui de l’armée congolaise
Depuis septembre 2016, les trois Kasaï sont secoués par la rébellion Kamwina Nsapu, en lutte contre le pouvoir de Kinshasa. Selon l'Église catholique congolaise, qui s'appuie sur les chiffres fournis par ses paroisses, les affrontements ont fait au moins 3 383 morts depuis octobre.
Le rapport du HCDH, qui se concentre sur le territoire de Kamonia, au sud du Kasaï, révèle en se basant sur les témoignages que d’une lutte anti-gouvernementale, le conflit a sombré "de facto" dans "ce qui ressemble à un affrontement ethnique" depuis mars 2017. Les miliciens Kamwina Nsapu, majoritairement Luba et Lulua, assassinent principalement des policiers, des militaires et des fonctionnaires, mais aussi des hommes, femmes et enfants accusés de sorcellerie. En face, les Tchokwe, les Tetela et les Pende se sont organisés en une milice d’auto-défense appelée Bana Mura et appuyée par les forces de sécurité congolaises (FARDC) pour attaquer les Luba et Lulua.
"On ne sait pas avec certitude si l’armée congolaise, qui mène une répression brutale contre les miliciens Kamwina Nsapu, a créé les Bana Mura, mais il est certain qu’ils travaillent de manière très proche avec eux", affirme Scott Campbell. "Le déploiement d'unités [FARDC] supplémentaires de Kinshasa à Kamako [commune de Kamonia] à partir du 5 avril 2017 a marqué le début d’opérations majeures contre la milice Kamwina Nsapu, de même qu’une répression violente à l’encontre de la population perçue comme ayant soutenu l'occupation de Kamako par les miliciens de Kamwina Nsapu", ajoute le rapport.
Plus de 250 meurtres en quatre mois
D’après l’équipe d’experts de l’ONU, dans différents villages du Kamonia de mars à juin 2017, 150 personnes ont été tuées par les Bana Mura, 79 par les miliciens Kamwina Nsapu, et 22 par l’armée congolaise. Le rapport dévoile, photos à l’appui, des cas de mutilation, et signale des victimes brûlées vives ou décapitées. "Le nombre effectif de meurtres est probablement beaucoup plus élevé", précisent les experts, qui n’ont enregistré que les cas corroborés par différentes sources. Pour Scott Campbell, il est difficile de savoir si les victimes sont toutes civiles ou membres de différentes milices, la frontière entre les deux pouvant être mince. Y compris parmi les 62 enfants morts répertoriés, étant donné que les miliciens Kamwina Nsapu utilisent des mineurs parfois très jeunes dans ses rangs. Pour le chef de mission, néanmoins, les victimes sont "principalement" des civils.
L’ONU a annoncé en juin qu’elle prévoyait l’envoi d’une équipe d’experts en RD Congo pour enquêter sur les violences au Kasaï. Les autorités congolaises ayant donné leur accord, elle devrait être déployée dès septembre. Selon Scott Campbell, il faudra alors s’attendre à des résultats autrement plus alarmants sur les violations des droits de l’Homme dans l’ensemble des trois Kasaï.