
L'affaire de la French Tech Night organisée à l'occasion du déplacement à Las Vegas d'Emmanuel Macron en janvier 2016, lorsqu'il était ministre de l'Économie, embarrasse le gouvernement depuis plusieurs semaines. Résumé des faits.
Si vous n'avez pas suivi ou n'avez pas vraiment compris ce qui est reproché à la ministre du Travail Muriel Pénicaud dans le cadre de l'affaire du déplacement d'Emmanuel Macron au CES de Las Vegas, voici, en trois questions, ce qu'il faut savoir.
- De quoi s’agit-il ?
L’agence Business France, organisme public chargé d’œuvrer au développement international des entreprises françaises et placé sous la tutelle des ministères des Affaires étrangères, de l’Économie et de l’Aménagement du territoire, est accusée d’avoir enfreint la réglementation sur les marchés publics en ne lançant pas d’appel d’offres pour l’organisation de la French Tech Night, le 6 janvier 2016 à Las Vegas, dans le cadre du Consumer Electronics Show (CES), grand-messe annuelle de l’innovation technologique.
Cette soirée a réuni environ 500 personnalités dans "un hôtel très chic et réservé à prix d’or", selon Le Canard Enchaîné du 8 mars 2017, qui a révélé l’affaire, et a été "montée dans l’urgence, à la demande expresse du cabinet du ministre" de l’Économie de l’époque, Emmanuel Macron.
Business France, alors dirigé par Muriel Pénicaud, l’actuelle ministre du Travail, avait confié en décembre 2015 l’organisation de cette soirée à la société de communication et de publicité Havas, pour un coût de 289 019 euros, sans la confronter à des offres concurrentes. C’est pourtant la règle qui prévaut pour l'État et ses établissements publics pour tous les marchés publics liés à la fourniture de services d’une valeur supérieure à 135 000 euros. Un accord transactionnel validé le 28 février par les administrateurs de Business France avait permis de réduire la facture initiale de 90 000 euros.
Après ouverture d’une enquête préliminaire à la suite d'un rapport de l’Inspection générale des finances, le parquet de Paris a finalement ouvert une information judiciaire le 7 juillet pour "favoritisme et recel de favoritisme".
- Emmanuel Macron et Muriel Pénicaud sont-ils mis en cause ?
Le président de la République n’est pas directement mis en cause. En effet, s’il a bénéficié de ce voyage en tant que ministre de l’Économie, il n’était pas en charge de son organisation, contrairement à sa ministre du Travail Muriel Pénicaud. La justice doit déterminer si l’ancienne présidente de Business France a pu être informée en amont de dysfonctionnements, ce qu'elle nie.
L’avocat de Muriel Pénicaud, Me Fabrice Dubest, assure qu’elle "n'a pas participé à la passation des marchés pour cette soirée". "Informée a posteriori (en février 2016, NDLR) de dysfonctionnements possibles, elle a diligenté un audit externe" en mars 2016, assure sa défense.
Cet audit, réalisé par le cabinet EY (ex-Ernst&Young), a donné lieu à un rapport en juin 2016, puis à une note juridique en septembre de la même année. Ce dernier document, consulté par l'AFP, n'a pas exclu que sa "responsabilité" puisse être engagée, même si sa "participation personnelle dans le cadre du marché [...] n'a pas été identifiée".
L’affaire affaiblit la position de la ministre du Travail, chargée par le président Macron de négocier un des chantiers phares de son mandat : la réforme du Code du travail. Les représentants des syndicats, qui saluent quasi-unanimement son expertise et ses qualités de négociatrice, ont exprimé leur souhait de la garder comme interlocutrice.
- Une défense affaiblie par les révélations
Les révélations successives du Canard Enchaîné, de Libération et du Monde mettent à mal la défense de Muriel Pénicaud. L’audit réalisé par EY et dont Libération a eu connaissance affirme que "la mise en concurrence n’a pas eu lieu concomitamment entre les trois prestataires contactés", que "le périmètre du marché à propos duquel les trois fournisseurs ont été consultés a semble-t-il été modifié", qu’il "n’y a eu aucun bon de commande, aucun devis réalisé, aucun contrat signé, aucune facture", et que cette situation pourrait "engager la responsabilité pénale des auteurs".
Or, selon l’édition du 3 juillet de Libération, ce n’est qu’une version tronquée de cet audit qui a été transmise au conseil d’administration de Business France, fin 2016, dans laquelle les manquements soulignés par EY sont minimisés, voire totalement absents, permettant ainsi à Muriel Pénicaud de ne pas être inquiétée en interne.
Par ailleurs, dans son édition du 15 juillet, Le Monde affirme que l’actuelle ministre du Travail "était bien mieux informée [...] qu'elle ne veut le dire". Selon le quotidien, "de nouveaux éléments étayent le récit d'un dérapage sous la pression du cabinet du ministre Macron".
Le journal cite notamment un courriel, récemment versé au dossier, suggérant qu'elle était au courant du coût prévisionnel de la soirée dès le 20 novembre 2015. Ce jour-là, la directrice adjointe de la promotion et de la communication de Business France, Julie Cannesan, lui écrit : "Muriel, nous avons eu le cab (cabinet) Macron en ligne. [...] Parmi les points à retenir s'agissant du CES, celui-ci : Budget : 300 KEUR [300 000 euros, NDLR]", rapporte Le Monde.
D'après le quotidien, Fabienne Bothy-Chesneau, à l'époque directrice de la communication de Business France et qui a organisé la soirée French Tech Night de Las Vegas, a suggéré, lors son audition à l'office anticorruption de la police judiciaire (Oclciff), que son ancienne patronne ne pouvait être tenue dans l'ignorance des modalités d'organisation.
Elle a ainsi évoqué une première réunion "en octobre ou en novembre 2015" à laquelle Muriel Pénicaud "nous a enjoint d'aller, soulignant qu'il était important de renforcer les liens avec le cabinet Macron". Ensuite, lors de plusieurs comités de direction, "l'organisation de la soirée a été largement évoquée sans jamais soulever l'opposition de Muriel Pénicaud", a-t-elle fait savoir aux enquêteurs.