
Le 26 juin 1917, les premiers soldats américains débarquaient à Saint-Nazaire, deux mois après l'entrée en guerre des États-Unis. Si cette arrivée remonte le moral des pays alliés, l'armée américaine est à l'époque jeune et inexpérimentée.
Alors que la guerre fait rage en Europe depuis août 1914, les États-Unis n’entrent en guerre qu’en avril 1917. Deux mois plus tard, le 26 juin, les premiers soldats américains foulent le sol de France après avoir débarqué dans le port de Saint-Nazaire. Un an et demi plus tard, le conflit se termine enfin avec une victoire pour les Alliés. Est-ce que l’arrivée des Américains a fait basculer la guerre ? Les "Doughboys", comme ils ont été surnommés en référence à leurs boutons de vareuse durant la guerre de Sécession, ont-ils été les sauveurs tant attendus ?
Dans son livre, "L’armée américaine dans la Grande Guerre", Michaël Bourlet, docteur en histoire contemporaine et officier détaché dans l’Education nationale, tente de répondre à cette question en étudiant l’évolution de ce corps expéditionnaire tout au long du conflit.
France 24 : Qui sont les soldats qui débarquent à Saint-Nazaire le 26 juin 1917 ?
Michaël Bourlet : Ce sont de bons soldats. Ils appartiennent à la 1ère division d'infanterie, nouvellement créée à partir d’unités appartenant à la "Regular Army". Toutefois, cette division appartient à une armée peu nombreuse, inexpérimentée et pas du tout prête pour affronter les tranchées et les Allemands en Europe, ce qui ne veut pas dire non plus que cette armée n’a pas connu le feu. En juin 1917, beaucoup des Doughboys qui débarquent à Saint-Nazaire ont déjà combattu : les hommes du 16e régiment d’infanterie ont été engagés sur la frontière mexicaine contre les hommes de Pancho Villa tandis que ceux du 26e d’infanterie ont participé à la guerre et à l’occupation des Philippines. Mais ces troupes n’ont jamais pris part à un conflit comme celui qui se déroule en Europe depuis 1914.
D’autre part, les soldats américains ne sont pas équipés pour cette guerre. Ils possèdent un uniforme, dont le célèbre campaign-hat, le chapeau de campagne avec lequel les soldats ressemblent à des boy-scouts, un équipement et de l’armement individuels mais peu d’armes collectives (mitrailleuses et fusils mitrailleurs), peu de canons et de camions, presque pas d’avions et aucun char. Ce sont les Français qui leur en fournissent, pour le meilleur (les chars par exemple) ou le pire (le très mauvais fusil mitrailleur Chauchat par exemple).
Il faut également les instruire au combat et à l’emploi de l’armement, ce qui prend du temps ! Une fois en France, ces soldats revoient d’abord l’instruction acquise dans les camps américains, puis les bataillons sont intégrés dans des régiments français et envoyés dans des secteurs calmes du front pour apprendre sur le terrain. Enfin, les régiments achèvent leur instruction par l’apprentissage du combat interarmes (opération commune aux différents corps de l'Armée de terre NDLR) dans la perspective d’un engagement au feu. C’est cette situation qui explique qu’ils ne sont pas engagés immédiatement sur le champ de bataille. Il faudra attendre l’automne 1917 pour les voir participer à leurs premières opérations. À la fin octobre 1917, le général Pershing (NDLR : le commandant en chef du Corps expéditionnaire américain) ordonne à un bataillon du 16e d’infanterie de monter en ligne dans le secteur français. Ces soldats, parmi les premiers débarqués à Saint-Nazaire, ont d’abord été intégrés au sein d’unités de chasseurs alpins de la 47e division d’infanterie française. Dans la nuit du 2 au 3 novembre, alors que ce bataillon américain occupe les tranchées sur les hauteurs qui dominent le village de Bathelémont-lès-Bauzemont à l’est de Nancy, les Allemands lancent une attaque contre ces positions. Douze soldats américains sont capturés, cinq sont blessés et trois sont tués : le caporal James Gresham et les soldats Thomas Enright et Merle Hay. Ce sont les premiers morts américains.
Le 26 juin 1917, les premières troupes américaines engagées dans la Première Guerre mondiale mettent pied à terre à Saint-Nazaire
Comment se déroulent les premiers engagements au feu pour les soldats américains ?
Michaël Bourlet : Cela ne se déroule pas très bien au début. Ils ont plusieurs déconvenues, à l’instar de ces deux compagnies de la 26e division d’infanterie bousculées par une attaque surprise dans le secteur de Seicheprey non loin de Saint-Mihiel, dans la Meuse, le 20 avril 1918. Environ 160 soldats allemands sont tombés dans cette affaire, mais les pertes américaines s’élèvent à plus de 650 hommes, tués ou blessés, et une centaine de prisonniers. Les conséquences de cette première affaire de Saint-Mihiel (à ne pas confondre avec l’offensive de septembre) sont dramatiques au plan politique, militaire et psychologique. La propagande allemande exhibe les prisonniers américains tandis que les Français et les Britanniques, qui espèrent intégrer les soldats américains dans leur armée, en profitent pour dénoncer l’incapacité des Américains à tenir seuls un petit secteur du front.
Par la suite, ils sont engagés sans faire de miracles, mais grâce aux effectifs américains, les Alliés tiennent pendant les offensives de 1918. À l’été, les Américains alignent une armée et obtiennent un secteur réservé où les Doughboys s’illustrent au combat à Bois Belleau et Château-Thierry notamment. Si Foch est capable de lancer de grandes offensives à partir de 1918, c’est parce qu’ils disposent notamment de grandes divisions américaines fortes de plus de 20 000 hommes. Sans relativiser leurs efforts, c’est cet apport qui est décisif et non le fait qu’ils s’illustrent au combat. L’armée américaine a deux atouts : elle a de l’argent et des moyens et surtout des hommes, ce que n’ont plus les Français et les Britanniques.
Pourtant, l’engagement américain représente une bouffée d’air pour les pays alliés. L’année 1917 est une année catastrophique : il y a l’échec de l’offensive du Chemin des Dames, des grèves, des mutineries, le bourbier de Passchendaele pour les Britanniques ou encore la Russie qui quitte le jeu de l’Alliance. Le fait de voir arriver les Américains est moralement salvateur.
De quelle manière la Grande Guerre a influencé l’armée américaine ?
Michaël Bourlet : Elle l’a influencé pour tout le siècle à venir, même si après 1919, les effectifs de l’armée américaine diminuent, adoptant un format plus modeste, comme au lendemain de la guerre civile américaine. Mais les bases sont jetées. Entre 1917 et 1918, l’armée américaine apprend la guerre tout en s’adaptant avec rapidité aux réalités du combat moderne. La Première Guerre mondiale met également en branle la machine de guerre américaine tant sur le plan matériel qu’humain. En août 1918, il n’y a plus qu’une seule armée, l’armée des États-Unis, comprenant toutes les forces de terre au service des États-Unis.
Les futurs grands généraux de la Seconde Guerre mondiale et même de la guerre de Corée s’illustrent également à Saint-Mihiel, au Bois Belleau et à Château-Thierry : les généraux Douglas MacArthur (1880-1964), Mark Clark (1896-1964), George C. Marshall (1880-1959), George Patton (1885-1945) ou encore Theodore Jr Roosevelt (1877-1944).
Enfin, pendant cette période, cette armée se fabrique des traditions, héritées souvent de l’armée française, lesquelles sont toujours vivaces de nos jours dans les forces armées américaines. Par exemple, l’insigne de la 93e division d’infanterie, la division des "blue helmets", est un héritage de cette époque. Cette division, composée de soldats noirs, instruite, équipée et engagée avec les Français, adopte un casque Adrian stylisé comme insigne. Aujourd’hui, les Marines commémorent toujours la bataille du Bois Belleau qui a eu lieu en juin 1918. L’armée américaine du XXe siècle s’est ainsi véritablement façonnée dans les camps d’instruction de France et la boue des tranchées du front de l’Ouest.