
Tadej Pogacar a hâte que le Tour de France se termine. © Loic Venance, AFP
Quand Tadej Pogacar a-t-il assommé l'édition 2025 du Tour de France ? Était-ce dès la cinquième étape et le contre-la-montre de Caen où il a pris le maillot jaune ? Était-ce à Mûr-de-Bretagne ? Dans les Pyrénées lors de son doublé ?
Les années passent et se ressemblent pour le Slovène. Comme en 2024, Tadej Pogacar a semblé intouchable pour décrocher sa quatrième victoire finale. Et les sempiternelles critiques sont revenues, lancinantes et plus fortes que jamais. Logique dans un cyclisme dont l'histoire est marquée par le dopage.
L'ombre encombrante de Mauro Gianetti
L'entourage de Pogacar a contribué à créer une ombre au-dessus de lui. En premier lieu, avec Mauro Giannetti, l’actuel patron de la formation UAE-Emirates. En tant que coureur, il possède un solide palmarès, contenant notamment Liège-Bastogne-Liège et de l'Amstel Gold Race. Mais aussi de sacrées casseroles : en 1998, il passe trois jours dans le coma et douze en soins intensifs lors du Tour de Romandie, un incident qu’un médecin suisse attribue au dopage et à une prise de perfluorocarbone (PFC), un transporteur artificiel d'oxygène.
Dans les années 2000, reconverti manager, l’Italien est aux commandes de la Saunier Duval, équipe sponsorisée par un fabricant de chaudières. Hasard ? "Chaudières" est aussi un sobriquet du milieu pour les coureurs dopés. Sur le Tour de France 2008, la formation a vu son leader, l'Italien Ricardo Ricco, être contrôlé positif à l'EPO. Leonardo Piepoli et Juan José Cobo seront aussi pris par la patrouille.
Tout le monde a le droit à une deuxième chance. Voire une troisième dans le cas de Mauro Giannetti. Mais, forcément, la réputation de l'Italien rejaillit sur son prodige slovène qui, dès sa première victoire sur le Tour, a dû faire face aux soupçons. À chaque fois, Pogacar demande qu'on lui fasse "confiance", estimant simplement que le cyclisme est victime de son passé. "Je ne sais pas ce qu'on peut faire pour rétablir la confiance", avait-il conclu, fataliste, lors de sa victoire au Tour de Lombardie en octobre 2024.
Pogacar à l'aise partout et par tous les temps
Il est difficile de faire confiance dans un sport traumatisé quand un coureur écrase la concurrence à ce point. Pas seulement sur le Tour de France mais aussi dans toutes les courses auxquelles il participe, de l'UAE Tour de février au Tour de Lombardie qui conclut la saison en octobre. Contrairement à ses adversaires qui programment des pics de forme, le Slovène ne faiblit jamais.
De plus, Tadej Pogacar est à l'aise sur tous les terrains et tous les formats : en haute montagne, dans les finals accidentés ou sur les chemins techniques et ce qu'il fasse beau ou qu'il pleuve des trombes. Sur trois semaines comme sur une seule journée. Il faut désormais tout le talent de Mathieu van der Poel, homme absolu des classiques (les courses d'une journée), pour empêcher Pogacar d'avaler Milan – San Remo et Paris- Roubaix, les Monuments du cyclisme manquants à sa collection. Pour combien de temps ?
Pour ajouter à l'injure, Pogacar a souvent l'air facile sur son vélo, répondant aux attaques assis sur sa selle, ne semblant connaître aucun coup de mou. Et il multiplié les records d'ascension. Après avoir pulvérisé l'an dernier le record d'ascension du Plateau de Beille établi par Marco Pantani au plus fort des années EPO, il a battu celui d'Iban Mayo au Mont Ventoux "sans vouloir trop se faire mal aux jambes".
Un peloton partagé
Le peloton semble partagé et certains mettent en doute, de manière anonyme, les performances de Pogacar, mais sans être en mesure de fournir de preuve. D’autres observateurs, à l'image de l'ex-entraîneur Antoine Vayer et de l'ingénieur Frédéric Portoleau, estiment que les puissances développées dans les cols par le maillot jaune vont au-delà de l'humainement possible. "Mutant", dans leur vocabulaire. Les sceptiques s'interrogent également sur la possible circulation de micro-doses d'EPO, voire sur l'existence de dopage génétique.
D'autres préfèrent voir en Pogacar un talent générationnel, à l'image d'un Armand Duplantis à la perche.
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Réessayer
Un fait demeure invariable : Tadej Pogacar n'a jamais été contrôlé positif, sachant que le maillot jaune subit un contrôle systématique à l'issue de chaque étape. Sur ce Tour de France, environ 600 échantillons de sang et d'urine ont été collectés au sein du peloton et 350 autres contrôles hors compétition pendant le mois précédant l'épreuve. Mais les détracteurs du Slovène rappellent également que Lance Armstrong, sept Tours consécutifs remportés entre 1999 et 2005, puis retirés, n'a lui-même jamais été contrôlé positif.
Reste le soupçon d'un dopage mécanique et d'un moteur dans le vélo. Soupçon encore alimenté par le fait que Tadej Pogacar ne se met que rarement en danseuse. Mais là aussi, l'UCI veille. Les vélos sont contrôlés régulièrement et la lutte contre cette fraude particulière confiée à un ancien de l'anti-terrorisme américain.
L'arrogance du maillot jaune
À cela s'ajoute désormais une nouvelle critique : ultra-dominateurs, Tadej Pogacar et ses coéquipiers pécheraient par arrogance. Un dédain qui avait point dès le Criterium du Dauphiné à quelques semaines du Tour lorsque le Slovène avait humilié son rival Jonas Vingegaard sur les étapes de montagne. Avec en prime des petites piques à l'arrivée, comme lorsqu’il disait ne pas avoir terminé à fond pour garder de l'énergie pour les photos et les interviews.
Sur ce Tour, la suprématie de Pogacar a commencé à ressembler à un règne de terreur. Dans l'univers feutré du cyclisme, il n'hésite plus à s'abonner au "trash-talk" de ces adversaires impuissants. Son équipe aussi fait peur. Elle cadenasse la course, filtre les coureurs ayant le droit de s'échapper. Et le Slovène distribue les cadeaux à ses équipiers : un maillot à pois par ici, une victoire d'étape par là.
"On ne cherche pas à être arrogants, on essaie juste de se rendre la course la plus facile possible pour gagner. Certains feraient mieux de se taire, ça sonnera super arrogant mais bon", avait répondu le Slovène dans la foulée, défendant son équipe.
Devoir de victoire
D'autres défendent l'attitude des UAE et de Pogacar, à l'image de Rolf Aldag, directeur sportif de l'équipe Red Bull-Bora : "Ce n'est pas de sa faute si les autres ne sont pas aussi bons que lui". Selon lui, Tadej Pogacar a un devoir de victoire envers ses équipiers qui martyrisent le peloton, durant le Tour et le reste de la saison.
Pourtant, Tadej Pogacar a mis de l'eau dans son vin. Alors que l'an dernier, il avait effectué une razzia dans le Tour de France avec six victoires d'étapes et un fabuleux triplé sur la 19e, 20e et 21e, il a laissé cette année quelques miettes à la concurrence. Il n'a gagné "que" quatre étapes et a laissé à d'autres coureurs le prestige du Ventoux et du col de la Loze. Thymen Arensman aura profité de cette mansuétude en s'imposant à Superbagnères et à La Plagne avec cette désagréable impression que Pogacar n'aurait eu qu'à le vouloir pour l'emporter.
La lassitude d'être seul au sommet
Tadej Pogacar s'est-il assagi ? A-t-il appris à en laisser aux autres ? Ou à écouter ses directeurs sportifs qui tentent depuis des années de réfréner son tempérament offensif ? Sans doute un peu de tout cela.
Mais les conférences de presse des deux étapes alpestres ont peut-être esquissé une autre explication. Tadej Pogacar est apparu bougon, blasé, concédant "compter les kilomètres" sur chaque étape. Loin de l'image de trublion du peloton qu'il a habituellement.
À force de courir contre sa nature, d'enchaîner les jours de course et d'essuyer les critiques, Tadej Pogacar a-t-il perdu la flamme ? Le Slovène ambitionnait initialement de réaliser un doublé Tour – Vuelta cette année pour chasser le seul grand tour manquant à son palmarès. Difficilement imaginable vu son état d'esprit actuel. À moins qu'une course moins exposée médiatiquement et qu'il connait moins, pendant trois semaines au soleil, ne soit exactement ce dont a besoin "Pogie" pour soigner ses états d'âme. Restera ensuite à dissiper les soupçons.