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Prédiction de l’ovulation, analyse de l’embyron… les promesses de l’IA contre l’infertilité
Un algorithme capable d'identifier un embryon viable ou de prédire une date d’ovulation, une machine à ultrasons automatisée… l’intelligence artificielle peut-elle nous aider à affronter l'infertilité, l’un des défis majeurs de l’avenir ? Éclairage depuis le plus grand congrès mondial sur la reproduction, à Paris. 
Un lustre sur un stand du congrès 2025 de la Société européenne de reproduction humaine et d'embryologie (ESHRE), début juillet 2025, à la Porte de Versailles, à Paris. © Pauline Grand d'Esnon, France 24

Une personne sur six est concernée à un moment de sa vie par l’infertilité dans le monde, selon l’OMS, une statistique en voie d’aggravation. C’est donc un marché porteur, qui a tenu début juillet son salon annuel à Paris, au Parc des Expositions de la Porte de Versailles.

À perte de vue, des spermatozoïdes. Sous forme de ballons, de porte-clés, de lustre géant, et même un figurant costumé qui traîne son flagelle. Bienvenue au congrès de la Société européenne de reproduction humaine et d’embryologie (ESHRE), société savante européenne de référence sur la médecine de la reproduction. 

C’est ici que le microcosme de la science de la fertilité vient présenter ses avancées, et où le business qui l’accompagne vient établir ses stands. S’y côtoient banques de sperme scandinaves, laboratoires pharmaceutiques, compléments alimentaires, applis de suivi de cycle, ingénierie robotisée et, évidemment, solutions d’IA. 

Des statistiques personnalisées pour la conception

La science de la reproduction n’échappe pas à l’effervescence autour de l’intelligence artificielle. Le congrès regorge de sessions consacrées aux avancées les plus prometteuses. Près de 250 publications dans le domaine ont été répertoriées en 2024, contre 35 en 2014. 

"Les machines ne vont pas remplacer les médecins, mais les médecins qui utilisent l’IA vont remplacer ceux qui ne l’utilisent pas." Cette affirmation, on la doit au professeur Ariel Hourvitz, membre de FertilAI, une entreprise de solution IA à destination des cliniques de fertilité. De la stimulation ovarienne au transfert de l’embryon, en passant par le déclenchement et la ponction des ovocytes, la fécondation in vitro est jonchée d’étapes délicates censées favoriser les conditions d’une grossesse qui n’arrive pas naturellement. Et pour chacune de ces étapes, des start-up de biotechnologies avancent leur solution IA. 

Nourri de données de patientes, l’algorithme développé chez FertilAI promet d’accompagner patients et soignants à chaque stade de l’éprouvant parcours. Il prédit le jour optimal pour déclencher une ovulation par injection, en intégrant les impératifs logistiques d’une clinique qui n’opère pas le week-end. Il croise également les informations à sa disposition pour projeter des statistiques personnalisées sur les chances d'un couple de concevoir, et en combien de temps. Objectif : les aider à anticiper leur parcours, et éviter, parfois, les faux espoirs.

À une session voisine, on présente Magenta, une solution venue d’Espagne, l’un des pionniers de la procréation médicalement assistée (PMA). Nourri de milliers d’images d’ovocytes et d’embryons, l’outil prédirait, score à l’appui, avec une exactitude proche de celle des experts, la qualité d’un ovocyte et ses chances d’être converti en un embryon viable. 

Les progrès se font particulièrement sentir du côté de l’imagerie. Selon ses concepteurs, à la clinique Cegyr en Argentine, une machine à ultrasons détecte, mieux que l’œil humain, les follicules susceptibles d’être matures. Une autre technologie a repéré, pour la première fois, plusieurs spermatozoïdes isolés dans le sperme d’un homme infertile, et lui a permis de concevoir un enfant après 18 ans d’échecs.

Et puis il y a Charli, un modèle de langage australien, censé répliquer la douceur et la fiabilité d’une infirmière spécialisée dans ses interactions avec les patientes, pour répondre à leurs inquiétudes et leur conseiller les dates optimales pour concevoir un enfant.

Prédiction de l’ovulation, analyse de l’embyron… les promesses de l’IA contre l’infertilité
Visuel d'un stand au congrès sur la médecine de la reproduction de l'ESHRE, Porte de Versailles, à Paris, début juillet 2025. © Pauline Grand d'Esnon, France 24

Comment faire le tri dans cette salve de promesses tous azimuts ? Même si les stands des entreprises privées promettent miracles et grossesses quasi garanties, le ton est nettement plus mesuré dans les interventions officielles du congrès. Et on comprend que le gain principal que promet l’IA, à ce jour, c’est l’efficacité.

Synthétiser les tentaculaires dossiers de patients, standardiser les pratiques pour éviter les erreurs humaines, faire gagner du temps à des praticiens débordés. Jusqu’à l’automatisation totale, de A à Z, d’un processus de FIV, où l’un après l’autre, à l’écran, les robots se succèdent pour opérer. Une expertise robotisée susceptible, par exemple, de pallier le manque de médecins qualifiés dans les déserts médicaux. 

"Zone grise"

"L’IA est un peu partout, c’est précisément le défi que l’on affronte au sein de la médecine reproductive aujourd’hui, résume Daniela Nogueira, directrice scientifique du group ART Fertility Clinics aux Émirats arabes unis, associée scientifique à Inovie Fertilité en France, et à la tête du groupe de certification sur l’embryologie au sein de l’ESHRE. Néanmoins, la plupart de ces applications manquent d’une réglementation uniforme et de validation scientifique suffisante, ce qui soulève des inquiétudes."

Interrogée sur les bénéfices, la chercheuse parle de “zone grise”, d’une incertitude collective. Tous les experts interrogés abordent le sujet avec la même prudence. Pour eux, les performances de l’IA dans leur domaine sont prometteuses, mais encore à l’état… embryonnaire.

Stéphane Viville, chercheur responsable de l’unité de génétique de l’infertilité à Strasbourg, qui siège au comité exécutif de l’ESHRE, évoque la technologie d’analyse automatisée de vidéo d'embryon : "Ça n’augmente pas le taux de grossesse, mais ça facilite la vie de l’embryologiste !"

Le Dr Michaël Grynberg, qui dirige le service de médecine de la reproduction à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart, et qui anime une session sur l’IA en pratique clinique, tempère également : "Pour l’instant, il n’y a pas grand-chose. Le but actuel, c’est de nous faire gagner du temps. Plus tard, il faut espérer que l’IA nous permettre un meilleur taux de succès."

Moins d’une chance de succès sur deux

Car technologie rutilante ou pas, la PMA demeure une science qui se heurte régulièrement à l’échec, souligne-t-il. On a moins d’une chance sur deux d’espérer ressortir d’un parcours de procréation médicalement assistée avec un enfant. En cause : les nombreux mystères que recèle encore la fertilité.

"Contrairement à d’autres champs de recherche où les schémas des maladies sont plus uniformes, la PMA traite des réponses biologiques complexes et hautement individualisées, influencées par de multiples facteurs, certains inconnus, développe Daniela Nogueira. Cela rend l’intégration de l’IA dans la médecine de la fertilité particulièrement difficile."

"Peut-être qu’un jour, l’IA sera capable de détecter le bon cycle pour implanter, suggère Michaël Grynberg. À ce jour, on n’en est pas capable. Même un couple hyper fertile, avec de nombreuses grossesses, n’a pas d’enfants à tous les coups !"

Autre aspect qui interroge, le surcoût de ces technologies au sein d’une médecine déjà très onéreuse pour les patients, en dehors de la France où elle est majoritairement prise en charge. “La valeur de l’IA ne réside pas dans une réduction directe des coûts, mais plutôt dans le fait d’améliorer les résultats et optimiser l’usage des ressources, analyse Daniela Nogueira. Par exemple, si l’IA peut aider à mieux sélectionner les embryons, et amener à un meilleur taux d’implantation et de naissances par transfert, cela peut réduire les durées de traitement, de cycles nécessaires, et le fardeau financier pour les patients.”  

Pour l’instant, l’ESHRE elle-même, dont les recommandations font référence à travers le monde, ne dit rien officiellement de l’IA. Le domaine est trop frais pour en évaluer posément les bénéfices ou les risques scientifiques. Mais cela viendra, selon Stéphane Viville. “Et il vaut mieux que l’ESHRE s’en empare”, estime-t-il. Comme dans d’autres domaines, l’effervescence autour de l’IA présente le risque de déboucher sur un Far West. 

En attendant que le temps et l’expérience fassent le tri, chaque clinique se débrouille pour naviguer dans la "zone grise". Daniela Nogueira entrevoit un futur où le rôle de l’humain sera davantage tourné vers la supervision de systèmes automatisés. Une chose est sûre, selon elle : "L’IA devrait être traitée comme un support, pas comme une entité qui prend des décisions autonomes."