logo

Polémique après l'appel dans le procès du "gang des barbares"

Alors que 14 des coaccusés de Youssouf Fofana, le leader du "gang des barbares", vont être rejugés en appel à la demande de la garde des Sceaux, une polémique enfle sur les ingérences politiques et communautaires dans les affaires judiciaires.

Quatorze des vingt-sept membres du "gang des barbares" condamnés, le 10 juillet, pour le meurtre d'Ilan Halimi, en 2006, seront rejugés en appel d’ici un an environ. Le procureur général de Paris, Laurent Le Mesle, l’a annoncé, le 13 juillet, quelques heures après l'injonction faite au parquet par la garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, de faire appel de certaines peines prononcées par la cour d'assises des mineurs de Paris.


"J'ai demandé au procureur général près la cour d'appel de Paris de faire appel des condamnations inférieures aux réquisitions de l'avocat général"
, avait lancé un peu plus tôt Michèle Alliot-Marie, fraîchement nommée au ministère de la Justice.


Le 10 juillet, le procès du "gang des barbares" s'est conclu par la condamnation de 25 jeunes ayant participé à l'enlèvement, la séquestration et l'assassinat, en 2006, du jeune juif Ilan Halimi. Après deux mois et demi d'audiences à huis clos, la cour d'assises des mineurs a prononcé à l'encontre des 26 coaccusés de Youssouf Fofana, le cerveau de la bande, des peines s'échelonnant de six mois de prison avec sursis à 18 ans de réclusion. Il y a eu deux acquittements.


Youssouf Fofana, condamné à la réclusion à perpétuité assortie d'une peine de sûreté incompressible de 22 ans,
n'est, lui, pas concerné par l'appel.


La procédure vise les individus condamnés à des peines inférieures aux réquisitions, notamment "l’appât", la jeune fille condamnée à neuf ans de prison pour avoir attiré Ilan Halimi dans le guet-apens qui lui fut fatal. L’avocat général avait requis à son encontre entre 10 et 12 ans de prison.


La demande de Michèle Alliot-Marie fait suite à celle de la mère d'Ilan Halimi, de son avocat et de plusieurs associations juives qui ont demandé l'organisation  d'un second procès ouvert au public dès la décision de la cour d'assises des mineurs rendue.


Risque de "vengeance privée" ?


Depuis l'intervention de la ministre de la Justice, les milieux judiciaires n'ont de cesse de dénoncer les ingérences politiques et les pressions communautaires dans ce dossier.

"La loi, rappelons-le, ne permet pas aux parties civiles de faire appel d'un arrêt de cour d'assises. Dans cette affaire, le parquet fait appel sur un ordre du gouvernement que celui-ci a cru pouvoir donner en interprétant de manière extensive les dispositions légales qui lui permettent d''enjoindre au ministère public d'engager ou de faire engager des poursuites' (article 30 du code de procédure pénale). On crée là un précédent", commente l’avocat Thierry Lévy, dans les colonnes du quotidien Le Monde daté du 15 juillet.


Interrogé sur FRANCE 24, Christophe Regnard, président de l’Union syndicale des magistrats, s’étonne également d'un tel précédent qui résulte, selon lui, d’une pression de la famille et de la communauté juive. “D’habitude, le ministre fait intervenir le parquet quand il y a eu acquittement, et non quand les peines sont légèrement inférieures”, précise-t-il. Et de rappeler que l'avocat général, Philippe Bilger, avait qualifié d'"exemplaire" le verdict rendu.


"Tout cela nous oriente dans un système où la partie civile peut potentiellement exercer une vengeance privée, souligne Christophe Regnard. Nous sommes dans un procès où ni la politique, ni la justice, ni la communauté juive n’a quelque chose à gagner."


Christophe Regnard dénonce par ailleurs une multiplication des procès qui tombent dans l’émotion. "On l’a vu avec Outreau, les emballages politiques et médiatiques conduisent toujours à des catastrophes", poursuit-il. Le procès Outreau, du nom d'une affaire d'abus sexuels sur mineurs dans le Nord de la France, s'était soldé par l'acquittement de 13 des 17 accusés, dont certains avaient passé jusqu'à trois ans derrière les barreaux. L’erreur judiciaire émanait, entre autre, de son hyper-médiatisation.


De son côté, Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), dément toute intervention. "Michèle Alliot-Marie n’est pas du genre à céder à la pression d’un lobby, indique-t-il. C’est une juriste professionnelle qui a pris sa décision en toute équité."


Le procès en appel en public ? 


Mais déjà, un nouveau débat voit le jour concernant le procès en appel : celui qui porte sur la publicité des débats. Alors que les audiences devant la cour d'assises des mineurs de Paris se sont tenues à huis clos, celles du procès en appel pourraient être ouvertes au public. Les parties civiles et les associations de défense des droits de l’Homme, encore frustrées par le huis clos et l’absence de débat public autour de ce crime à forte dimension antisémite, appellent à une modification de la loi.


Le principe du huis clos s'impose automatiquement dès lors qu'un mineur - ou un majeur qui était mineur au moment des faits - comparaît en assises, d'après un principe édicté par l'ordonnance du 2 février 1945 sur la délinquance des mineurs. Les députés François Baroin (UMP) et Jack Lang (PS) ont récemment rédigé une proposition de loi visant à alléger la règle. Mais elle ne pourrait pas être votée dans les temps pour être appliquée lors de cet appel.