Le président français François Hollande a reçu samedi à l'Élysée 28 anciens tirailleurs sénégalais résidant en France, pour leur octroyer la nationalité française. Reportage.
"Il était plus que temps de rattraper le temps perdu". François Hollande le reconnaît, la France a une "dette de sang" envers ceux que l’on nomme les tirailleurs sénégalais. Des centaines de milliers d’hommes originaires des colonies d’Afrique subsaharienne et de Madagascar qui ont combattu plus d’un siècle pour ce qui était alors "leur patrie", et qui ont perdu la nationalité françaises aux indépendances. À quelques semaines de la fin de son quinquennat, le président français a donc voulu leur rendre un ultime hommage, en rendant la nationalité française à ceux qui, résidant en France, en avaient fait la demande.
Samedi 15 avril, à la veille du centenaire de la sanglante bataille du Chemin des Dames où plus de 7 000 tirailleurs avaient péri, François Hollande a donc reçu 28 de ces "dogues noirs de l’Empire", comme les appelait dans l'un de ses poèmes le premier président sénégalais Léopold Sédar Senghor, et leur a délivré leur certificat de nationalité. Premier acte symbolique, avec la promesse que toutes les autres demandes seront acceptées. Après un film institutionnel un peu daté sur l’honneur d’être français, la salle des fêtes du palais de l’Élysée a résonné des voix de ces Sénégalais, Centrafricains, Béninois, et Ivoiriens âgés de 79 à 91 ans, lorsqu’ils ont entonné en cœur la Marseillaise aux côtés du président et du ministre de l’Intérieur, Matthias Fekl.
"Les autres présidents nous ont ignorés"
Bardé de médailles, arborant fièrement son insigne de parachutiste du 7e RPIMA de Dakar, Daouda Faye Badji se dit satisfait, mais ne cache pas qu’il aurait aimé que la reconnaissance arrive plus tôt. "Les autres présidents nous ont ignorés", lance-t-il. Arrivé en France depuis le Sénégal en 2004, cet octogénaire a fait trois demandes de naturalisation en 2007, en 2013 et en 2015. Il a essuyé trois refus, faute de pouvoir justifier d’un logement adéquat ou de documents administratifs qu’il lui était impossible de se procurer, tels que l’acte de naissance de ses grands-parents. "À chaque fois, ça m’a coûté 57 euros, pour rien. J’allais laisser tomber". Rentrer pour de bon au Sénégal lui aurait cependant coûté de perdre sa carte de séjour, ainsi que sa maigre pension de l'armée, son seul revenu stable. À ses côtés, Ousmane Badji, son frère aîné de trois ans, acquiesce. Lui aussi est un ancien "para", conscrit pendant cinq ans avec Daouda pour la guerre d’Algérie. Arrivé en 2009, il a fait quatre demandes. "Ma femme voulait venir, mais comme je ne suis pas Français, ça n’a encore jamais été possible. Mais plus maintenant", précise l’homme un peu dur d’oreille, mais droit comme un "I" dans son uniforme.
"C’est un geste magnanime du chef de l’État. La France répare une partie des ratés de l’histoire, ce qui est positif, car on ne peut pas bâtir l’avenir ensemble si nos passés respectifs ne sont pas reconnus", confie à France 24 Fodé Sylla, ancien président de SOS racisme et ambassadeur itinérant du Sénégal. "Ce quinquennat a bien corrigé le discours de [l’ancien président Nicolas] Sarokzy, qui avait dit que l’homme africain n’est pas assez rentré dans l’histoire [lors du discours de Dakar, en 2007]". François Hollande a par ailleurs été le premier homme politique français à évoquer officiellement en 2012 et en 2014, le massacre de Thiaroye, où au moins 70 tirailleurs sénégalais avaient été abattus par des gendarmes français dans un camp militaire près de Dakar.
60 000 signatures
La cérémonie de samedi est l’aboutissement d’une pétition lancée l’année dernière par Aïssatta Seck, maire adjointe de Bondy chargée des anciens combattants, en banlieue parisienne, et petite-fille d’un tirailleur sénégalais. Elle avait été signée par plus de 60 000 personnes, dont les acteurs Jamel Debbouze et Omar Sy, les hommes politiques Arnaud Montebourg et Claude Bartolone, et l’historien Benjamin Stora. "Quels que soient les champs de batailles, leur engagement et leur bravoure ont pourtant été une force indéniable pour notre pays. Leur histoire est liée de manière indissoluble à celle de la France", affirme Aïssata Seck, venue de Bondy avec 18 anciens combattants.
Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Bruno Le Roux, l’a reçue le 14 décembre 2016, et six jours plus tard, François Hollande s’engageait devant le président sénégalais Macky Sall à faciliter l’octroi de la nationalité à ces retraités soumis aux tracasseries de l’administration française. "Il y avait déjà beaucoup de travaux en cours en ce sens. L’important, c’est que ça ait abouti, c’est une marque de reconnaissance très forte", précise Matthias Fekl, l'actuel ministre de l'Intérieur à France 24, qui évoque une cérémonie "émouvante, à laquelle le président tenait énormément".
"D’autres dossiers vont suivre pendant les mois prochains", selon Aïssata Seck. À l’Élysée, cependant, on précise que seules quelques dizaines de personnes sont concernées et seront naturalisées en préfecture.