Depuis une semaine, les blocages de lycées se multiplient à Paris. Derrière le slogan #BlocusPourThéo, ces actions semblent avant tout le fait de groupes autonomes recherchant l'affrontement avec la police.
Une quinzaine de lycées d’Île-de-France, essentiellement à Paris, ont été bloqués, mardi 28 février, en marge de la nouvelle journée de mobilisation des lycéens contre les violences policières. Une journée émaillée de violences : un jeune de 16 ans a ainsi été arrêté après avoir blessé avec un projectile la proviseure du lycée Jules Ferry dans le 9e arrondissement. En tout, vingt-deux personnes ont été interpellées à Paris et en banlieue, notamment pour jets de projectiles et dégradations, selon des sources policières.
Qui a appelé à manifester ? Pas les principaux syndicats lycéens, pas cette fois en tout cas. Les organisations lycéennes et étudiantes (Fidl, Unef, UNL, Fage, La Fabrique) avaient participé aux côtés des associations antiracistes (SOS Racisme, Cran, Ligue des droits de l'Homme, Mrap, Egam...) et des syndicats (CFDT, CGT, FSU) à la grande mobilisation du 18 février organisées dans plusieurs villes de France pour soutenir Théo, ce jeune homme noir victime d'un viol présumé lors de son interpellation le 2 février à Aulnay-sous-Bois. "On a appelé à manifester le 18 février car c’était un rassemblement pacifique. Les méthodes employées jeudi [23 février] et ce mardi ne sont pas celles que nous utilisons", a expliqué Benoît Deverly, secrétaire général de la Fidl à France 24, en condamnant fermement les violences.
Des poubelles ont été incendiées, mardi, devant plusieurs établissements parisiens et, dans le sud-est de Paris. De petits groupes ont, sur leur passage, dégradé une voiture et dérobé des livraisons de supermarché. Jeudi 23 février, un rassemblement des lycéens contre les violences policières et en "vengeance pour Théo" avait donné lieu à des heurts avec les forces de l'ordre à Paris, résultant sur 28 interpellations.
Rue Planchat, Paris. Manifestation lycéens, #affairetheo pic.twitter.com/NDBoWWzb9O
— Stéphane Lagarde (@StephaneLagarde) 28 février 2017"Pas de revendication claire"
Si aucun appel officiel à manifester n’a été lancé, c’est que ce sont les "les mouvements autonomes" qui ont impulsé les manifestations et les blocages de lycées de ces derniers jours. Comme jeudi 23 février, l’appel à manifester de mardi a été relayé par le compte Twitter du "Mili", le Mouvement Inter Luttes Indépendant, un collectif lycéen d'extrême gauche aux méthodes musclées, qui était notamment monté au créneau contre la Loi travail. Opérations coup de poing, visages masqués… les méthodes radicales des "Milis" n’ont pas grand-chose à voir avec celles des syndicats lycéens. Leurs finalités non plus. "À la Fidl, quand on appelle à manifester, on dit ce que l’on veut. Pour lutter contre les violences policières. Par exemple, on demande la création d'un ticket de contrôle, afin de lutter contre le contrôle au faciès. Or pour les manifs et les blocus de ces derniers jours, il n’y a même pas de revendication claire", relève Benoît Deverly.
Même sentiment chez Philippe Tournier, secrétaire général du Snpden-Unsa, premier syndicat des chefs d’établissements : "Le lycée Victor Duruy, dans le 7e arrondissement, où je suis proviseur a été bloqué vendredi [24 février]. Il n’y avait pas de slogan, c’est parce que je suis l’actualité que je savais que le blocage avait pour but de soutenir Théo. Sinon, rien ne permettait de le savoir", a-t-il déclaré à France 24.
Sur un appel au blocus des lycées "contre les violences d’État" relayé par "la Mili" il y a quelques jours, on peut lire pêle-mêle un appel à la justice "pour Zyed, Bouna, Adama, Théo et tant d’autres victimes de la police", une critique des "conditions d’études de plus en plus mauvaises" et le regret de voir le débat de la campagne présidentielle monopolisé par le thème de "la sécurité". Le texte est accompagné de deux photos : celle d’un jeune masqué faisant le signe des cornes avec ses doigts et une autre montrant un individu tout en noir tirant deux poubelles.
#BlocusAccidentel pour Théo, Adama & contre les violences d'Etat. Mardi 28 février et jeudi 2 mars.
Faites tourner. pic.twitter.com/w4b1XrRc5I
"Il suffit de 20 personnes pour bloquer 2 000 lycéens"
"Les gens ont l’image d’un mouvement romantique avec des 'sit-in' et des AG comme à l’époque de la mobilisation contre le CPE, il y a dix ans. Mais ce n’est plus du tout le cas : ce sont des jeunes cagoulés qui débarquent, il n’y a plus de vote, d’ailleurs les personnes blessées sont celles qui cherchaient à dialoguer", déplore le secrétaire général du Snpden-Unsa. "Il suffit de 20 personnes pour bloquer 2 000 lycéens", relève aussi le proviseur. Au-delà du principe, le secrétaire général de la Fidl estime qu’avoir recours au blocage des lycées au tout début d’un mouvement n’est pas très stratégique : "Cela doit être un dernier recours car c’est s’ôter d’un moyen de pression pour la suite", estime-t-il.
Pour lui, c’est à l’image de la méthode des "mouvements autonomes", qui s’appuie plus sur les réseaux sociaux que sur un travail de terrain et de "conscientisation" des lycéens. D’où la relativement faible mobilisation malgré les images spectaculaires de blocus des lycées ? La manifestation du 23 février, place de la Nation à Paris, a rassemblé, selon la police, entre 800 et 1 000 personnes. "La mobilisation est surtout parisienne", pointe Benoît Deverly. "Le peu de mobilisation en banlieue, alors que les violences policières touchent avant tout des jeunes de banlieue, montre que ce n’est pas très sérieux", estime-t-il.
Pour Théo et contre les violences policières, la Fidl réfléchit à une autre manière de mobiliser les lycéens mais rien de précis n’a encore été arrêté. Sur les réseaux sociaux, "la Mili" fait, de son côté, déjà circuler un appel à la mobilisation le jeudi 2 mars. Comme les 23 et les 28 février, le mot clé est #BlocusPourThéo… loin de l’appel au calme lancé par Théo lui-même depuis son lit d'hôpital le 7 février.