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Au rassemblement anti-corruption à Paris, les symptômes du "Praf" ("Plus rien à faire, plus rien à foutre")

Des propos très durs contre les responsables politiques “tous pourris” et les “merdias” ont été tenus dimanche, place de la République à Paris, lors d'un rassemblement contre la corruption. Le symptôme d’une crise de confiance des citoyens qui s'accroît.

"Fraudeurs en cols blancs, de droite ou de gauche, même sanctions, inéligibilité", proclame une pancarte. "Fillon, tu nous as assez plumés, si tu es au second tour on ne se déplacera pas", lance une autre. Dimanche, on manifestait contre la corruption place de la République à Paris, comme à Toulouse, Saint-Omer, Lyon, Angers ou Lille. Un rassemblement a priori pleine de bonnes intentions, mais qui a très vite tourné au "tous pourris", alors que deux candidats à la présidentielle, François Fillon et Marine Le Pen, sont dans le collimateur de la justice pour des affaires d'emplois fictifs.

L’idée du rassemblement vient de Vincent Galtier, un photographe, sans étiquette politique. C’est en regardant la conférence de presse de François Fillon qu’il a eu envie de créer un événement Facebook pour inciter à manifester. Quelques heures avant le top départ, il rassemblait plus de 11 000 personnes. Devant l’ampleur de la participation, Vincent Galtier a donc décidé de déposer une demande de manifestation à la préfecture de Paris, conjointement avec des membres du mouvement Nuit Debout, dont les réseaux se sont activés, comme Gazette debout, Nuit Debout Paris, Écologie debout ou encore Radio debout :

Il fait beau, on est plein !#StopCorruption #Republique pic.twitter.com/a4kTiYupqj

— radio debout (@radio_debout) 19 février 2017

On pouvait d’ailleurs retrouver dans la foule des figures populaires déjà croisées lors du mouvement de mai :

.@nuitdebout @grebert On retrouve à la manif #StopCorruption les mêmes figures qu'en mai à #NuitDebout pic.twitter.com/7DWo16QogS

— Aude Lorriaux (@audelorriaux) 19 février 2017

... si bien que certains se sont demandés si ce n’était pas le "grand retour" du mouvement :

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"Pilleurs, voleurs, escrocs, mafia"

Pendant plusieurs heures, simples citoyens, représentants de collectifs ou d’associations et une poignée d’élus vont se succéder à la tribune, pour proposer des solutions ou exprimer leur ras-le-bol. Un homme suggère un rassemblement devant l’Assemblée nationale. Une femme demande à ce que l'amendement voté le 16 février dernier, qui instaure des délais de prescription aux infractions "occultes" et "dissimulées", et que Mediapart a qualifié de "prime à la fraude financière", soit retiré. Plusieurs personnes évoquent aussi l’idée d’un tirage au sort des représentants de la nation, une idée portée en partie par Arnaud Montebourg pendant la campagne présidentielle, mais aussi par des universitaires comme Loïc Blondiaux et Yves Sintomer ou encore le controversé blogueur Étienne Chouard.

Plusieurs personnes évoquent l’idée d’un tirage au sort des représentants de la nation

Mais à côté de ces propositions concrètes, et qui se voulaient constructives, des prises de parole violentes, des propos outranciers ont aussi été beaucoup prononcés, souvent suivis d’applaudissements nourris. "Il faut couper des têtes, pilleurs, voleurs, escrocs, mafia", s'époumone un homme à la tribune. Un autre critique les "merdias" tous vendus au "système", plusieurs personnes fustigent les politiques "tous pourris". Une femme à la tribune invite les participants à aller se renseigner sur la loi Pompidou, Giscard, Rothschild, accusée d’être à l’origine de tous nos maux économiques, propageant ainsi une rumeur classique de l’extrême-droite. Une autre personne veut que les élus condamnés soient "inéligibles à vie" et qu'ils remboursent trois fois les sommes perçues, une proposition jugée "démagogique" par le maître de conférences en droit public Serge Slama, contacté par Mashable FR, et qui aurait de grandes chances d’être jugée inconstitutionnelle à cause de son caractère automatique (une peine d’inéligibilité à vie peu importe la gravité des faits).

"Éviter le 'tous pourris', qui profite aux populistes"

"Il y a beaucoup plus de colère qu’il y a un an et c’est une colère profonde et qui touche toute la société", estime Christophe Grébert, conseiller municipal d'opposition (ex-Modem, sans étiquette aujourd'hui) de Puteaux joint par Mashable et à l’origine de la pétition "Mme Fillon, rendez-nous ces 500 000 euros" qui a recueilli plus de 400 000 signatures. L’élu a enjoint dimanche à la tribune les participants à "éviter le tous pourris, qui profite aux populistes". Il se désole d’avoir entendu dans la foule des gens "comparer un élu avec Hitler" ou dire qu’il faut "abattre" des hommes politiques. "Il y a un entraînement de foule pas très positif quand certains gueulent leur haine", regrette-t-il, ajoutant que la corruption n’est pour lui "pas un problème de personne mais de structure".

Les propos entendus ça et là, dans la foule ou à la tribune, font écho avec un syndrome qu’a décrit dans un ouvrage qui vient de sortir le politologue Brice Teinturier : le "Praf", ou "Plus rien à faire". Voire "Plus rien à foutre".  De quoi ? Des élus, de la vie politique, de ces "pourris qui nous gouvernent”. À tel point que même le mot "politique" est associé à "corruption". Pendant un quart de siècle, entre 1958 et 1982, les Français étaient passionnément gaullistes, communistes ou socialistes, résume Gérard Courtois dans Le Monde. Puis la désillusion s’est installée avec François Mitterrand et n’a cessé de grandir depuis. Une désillusion qui confine aujourd’hui à la rupture : "Dans la déception, il y a encore de la relation. Dans le détachement, c’est la relation même qui, lentement, se décompose. Le divorce est alors consommé et la rupture définitive", écrit Brice Teinturier. 72 % des Français jugent les hommes et les femmes politiques "corrompus" et 89 % pensent qu’ils ne se préoccupent que de leurs intérêts personnels, selon un sondage Ipsos.

Mettre fin au système de forfait à l'Assemblée nationale

“L’AG s’est constituée pour parler à la raison, mais il y a aussi eu des paroles proférées à partir des bas instincts, et c’est normal, on est tous humains", juge Vincent Galtier, contacté par Mahable FR. "J’ai entendu des individus qui avaient besoin de crier leur rage, ils ressentent de la haine contre ceux qui les dirigent, mais je ne peux pas être déçu de ce que les gens pensent. La colère c’est comme l’essence d’une voiture. Et l’important c’est qu’il y a eu une transformation raisonnable et démocratique de cette colère, avec des demandes précises, comme la révocabilité des élus et les jurys citoyens."

Siégeant au Conseil régional d’Île-de-France, Julien Bayou, porte-parole d’Europe écologie – Les Verts, a appelé à la tribune du rassemblement contre la corruption à "soutenir les candidats exemplaires" plutôt qu’à dénigrer l’ensemble des élus. Il a pris en exemple François Ruffin, le réalisateur du film "Merci Patron", par ailleurs à l’initiative de Nuit debout et qui envisage de se présenter aux élections législatives. Julien Bayou a proposé des mesures concrètes, comme mettre fin au système de forfait à l'Assemblée nationale, qui dispense les députés de justifier leurs dépenses.

Les députés reçoivent aujourd’hui 5 840 euros brut d’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM), non imposable, pouvant servir à tout type de dépense, sauf, depuis février 2015, au financement d’un parti politique ou à l’acquisition d’un bien immobilier. Mais cette (petite) limitation est toute théorique puisque l’IRFM ne fait l’objet d’aucun contrôle. En 2012, le député Charles de Courson a proposé de fiscaliser les frais des parlementaires utilisés à des fins non-professionnelles, mais son amendement a été rejeté par l’Assemblée. "Si les députés sont obligés de justifier chaque dépense, alors ils ne vont plus être des députés libres", lui avait répondu le député Henri Guaino. Oserait-il encore répondre la même chose aujourd’hui ?

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