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Le jour où Mélenchon, Hamon, Hollande et Yade ont pris la défense de Skyrock

En 2011, Skyrock traversait une crise sans précédent après le débarquement de son fondateur Pierre Bellanger. Dix jours d’inquiétude et d’excitation où François Hollande, Jean-Luc Mélenchon ou encore Benoît Hamon ont défilé au micro de la radio.

"Skyrock est en danger de mort. À tout moment, Skyrock peut disparaître. Et sans Skyrock, plus de rap, plus de r’n’b, plus de radio libre. La liberté toute entière de toute une génération est aujourd’hui menacée à tout jamais."

Voilà le message alarmant qui tourne sur les ondes de la radio dans la nuit du 12 au 13 avril 2011. Quelques heures plus tôt, la centaine de salariés de Skyrock a appris dans la presse que le fondateur et PDG Pierre Bellanger avait été limogé par l’actionnaire majoritaire AXA Private Equity lors d’un conseil d’administration.

"On l’a appris sur le Net. On était trois ou quatre en studio", se souvient Fred Musa, animateur phare de Skyrock depuis 1992, pour Mashable FR, "Difool (David Massard, animateur et aujourd’hui directeur d’antenne, NDLR) est arrivé vers 20h30 et il prenait l’antenne une demi-heure plus tard. On se regardait, et on s’est dit : ‘qu’est-ce qu’on fait ?’. On ne s’est pas vraiment concertés, il n’y a pas eu de stratégie ou de plan de communication, on s’est juste dit qu’on ne devait pas laisser passer ça. Alors on a décidé de tout raconter aux auditeurs".

Très vite, le public répond à l’appel : ils se mobilisent via un groupe sur Facebook à la popularité impressionnante et font même le siège devant la radio, au 37 bis rue Greneta dans le 2e arrondissement de Paris. Inquiets de voir changer d’ADN la seule radio qui diffuse leurs titres, les artistes fidèles de Skyrock comme Sexion d’Assaut, Mokobé du 113 ou Soprano viennent rapidement témoigner leur soutien à l’antenne. Plus surprenant par contre, un défilé d’hommes et de femmes politiques s’ouvre presque aussitôt au micro de Skyrock.

Des soutiens de tous bords politiques

François Hollande, Jean-Luc Mélenchon, Rachida Dati, Benoît Hamon, Rama Yade, Frédéric Mitterand, Xavier Bertrand, Benjamin Lancare… La liste des soutiens de Skyrock, plus ou moins spontanés et de tous bords politiques, s’allonge en un temps record au mois d’avril 2011.

"Tout à coup, la porte s'ouvre et François Hollande entre dans le studio"

Le 13 avril, au lendemain de l’évincement de Pierre Bellanger, François Hollande, candidat déclaré depuis quelques jours à la primaire citoyenne, est parmi les premiers à s’inviter dans les studios. "Je n’ai pas de souvenirs où on me dit : tiens, tu vas recevoir Hollande, tu vas voir Dati débarquer… Il y en a qui sont venus assez spontanément. Ce soir-là, d’un seul coup, la porte s’ouvre, entre une nuée de caméras… et c’est François Hollande qui s’assoit à côté de Colonel Reyel en plein Planète Rap", raconte Fred Musa à Mashable FR.

Dans un studio bondé et sans clim, le futur président de la République s’installe autour de la table et réagit : "Je considère qu’une radio n’appartient pas simplement à ses actionnaires, mais à ses auditeurs (…) Ici c’est la radio de toutes les musiques, des musiques de jeunes dont je ne suis pas un spécialiste et je ne vais pas ici faire étalage d’une culture que je ne possède pas, mais je pense que cette liberté-là ne doit pas être menacée."

"Avec Benoît Hamon, on a parlé de La Fouine"

Le lendemain, c’est Benoît Hamon, à l’époque porte-parole du Parti socialiste qui débarque. "Il préparait des élections à Trappes, alors je me souviens, on avait parlé de La Fouine (rappeur originaire de la ville, NDLR). Il est venu tout seul, sans caméra, sans personne. Il a débarqué entre 9h et 12h, il s’est posé 10 minutes à l’antenne", se souvient Fred Musa. Au micro, Benoît Hamon confie avoir été plus jeune auditeur de Skyrock qui a "la vocation d’être un espace culturel unique de partage, intergénérationnel. C’est un bel écrin, un beau joyau dont certains veulent tirer d’avantage de profits. Ce qui est d’un mépris absolu pour tout ce qui a pu être créé et partagé sur cette radio depuis plus de 20 ans."

Jean-Luc Mélenchon propose une coopérative ouvrière

Le même jour, Jack Lang, Rama Yade qui a "grandi avec Skyrock", le président des jeunes de l’UMP Benjamin Lancar puis Jean-Luc Mélenchon défileront dans les couloirs du 37 bis rue Greneta, croisant certains salariés en pleurs. La venue du candidat du Front de gauche à la présidentielle a particulièrement marqué l’animateur Fred Musa : "Mélenchon, il m’a halluciné parce qu’il était force de proposition. Il est arrivé en proposant à l’antenne de monter une coopérative ouvrière, pour que l’entreprise n’appartienne plus à un seul même mec mais à l’ensemble des salariés. Je pense que lui il était venu parce qu’il était en campagne et qu’il avait envie de tester une proposition."

"Frédéric Mitterrand débarque au milieu des joints et de la fumée dans le studio"

Le jour d’après, le ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand s’invite aussi dans l’émission de Fred Musa. "Je suis en plein Planète Rap à 20h avec Colonel Reyel, y’a des joints de partout et de la fumée dans le studio", raconte-t-il à Mashable FR, "et là Malek Boutih (alors directeur des relations institutionnelles de Skyrock, NDLR) me tape sur l’épaule, me dit ‘retourne-toi’ et je vois Frédéric Mitterrand." 

Entre deux invectives à "lâcher son freestyle", le ministre qualifie "les menaces sur Skyrock" d'"incompréhensibles et inadmissibles" : "Tout le monde doit pouvoir s’exprimer et vous, vous devez pouvoir chanter ou faire du rap comme vous venez de le faire (…) Je vis peut-être dans un univers complètement différent mais je suis profondément solidaire de vous."

Mais alors pourquoi tous ces politiques, qui a priori n’ont jamais passé des heures à écouter la libre-antenne ou à poster des photos sur leur Skyblog, se sont-ils tellement émus du sort de cette radio privée et indépendante ?

"Hamon, Yade et Dati sont sincèrement attachés à Skyrock"

Fred Musa pense que certains d’entre eux, notamment Benoît Hamon, Rama Yade et Rachida Dati, sont "sincèrement attachés à Skyrock pour plein de raisons : la musique, le ton qu’on y a ou parce que cela leur rappelle des souvenirs de quand ils étaient gamins". Mais l’animateur n’est pas dupe. En avril 2011, "on est quand même à un an de l'élection présidentielle, Skyrock est une radio qui a un public jeune parmi lequel, forcément, il y a des électeurs qui vont aller voter pour la première fois en 2012". Alors s’afficher sous le logo rouge et blanc de la radio, dans un studio bondé de jeunes, ne fait bien sûr de mal à personne. Bien au contraire.

L'influence de Pierre Bellanger et Malek Boutih

Mais derrière la spontanéité des uns et la récupération des autres, il y a surtout l’influence du duo Pierre Bellanger et Malek Boutih. Le premier est en contact avec l’Élysée et le second est l’ancien président de SOS Racisme mais aussi membre du Parti socialiste. Et forcément dès que la crise commence, les deux ouvrent leur carnet d’adresses pour tirer la sonnette d’alarme. "Malek Boutih en a appelé certains, c’est sûr. Je pense qu’il a eu un rôle plutôt pédagogique auprès des politiques en leur expliquant pourquoi l’antenne de Skyrock était mobilisée", explique Fred Musa à Mashable FR. Alors Pierre Bellanger – retranché depuis son limogeage dans son bureau où son canapé rouge fait office de lit de camp – reçoit au fur et à mesure tous ces politiques, avant ou après leur passage à l’antenne.  

La crise s’achèvera finalement une semaine plus tard, le 19 avril, lorsque Jean-Paul Chifflet, président du groupe bancaire Crédit agricole qui avait rencontré Pierre Bellanger lors d’un dîner trois mois plutôt, sort des locaux de la radio avec à la main une lettre d’intention de rachat de 30 % du capital d’AXA Private Equity. Des parts, qui ajoutées à celles de Pierre Bellanger, forment une nouvelle majorité. Skyrock était hors de danger.

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