Jean-François Nicolle, un attaché parlementaire à la retraite, a noté de nombreux points communs entre l'affaire Penelope Fillon et son expérience passée auprès d’un ex-sénateur de la Manche pendant plus de quinze ans. Récit.
Depuis les révélations de l’affaire Penelope Fillon, Jean-François Nicolle, retraité de 70 ans, voit son passé remonter à la surface. Il a passé 17 années comme attaché parlementaire de Jean-François Le Grand, sénateur de la Manche (1982-2011). Il était employé à temps plein à Lessay, cette petite ville de 2 000 âmes nichée dans la péninsule du Cotentin, où le parlementaire est né et a élu domicile dans les années 1970. Son temps plein était réparti entre la permanence locale, située dans une dépendance de la maison de son employeur, et le bureau au Sénat, raconte-t-il à France 24. "Je faisais aussi beaucoup de déplacements dans tout le département", précise-t-il.
À ses côtés travaillait une autre attachée parlementaire : Monique Le Grand, l’épouse du sénateur qui, elle, était à Paris. “Elle travaillait déjà là quand j’ai commencé en 1987, elle a été recrutée dès son élection en 1982”, se souvient-il. Une pratique tout à fait légale et plus que répandue. Selon la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, mise en place en 2013, au moins 20 % des 577 députés avaient rémunéré un membre de leur famille proche et une soixantaine de sénateurs (sur 348) avaient fait de même.
Rapidement, Jean-François Nicolle se rend compte que sa collègue ne se présente jamais au bureau, rue de Vaugirard, à Paris. "C’est simple, en 30 ans de métier, je ne l’ai jamais vue travailler au Sénat !", résume Jean-François Nicolle, avant de reprendre. "Je la voyais quand j’étais à Lessay, je l’emmenais à la gare le lundi matin", précise-t-il. Monique Le Grand passait ses week-ends dans la Manche et retournait à Paris la semaine.
Invitations à des cocktails
Dans l’équipe, une autre attachée parlementaire, Catherine Burais, aujourd’hui âgée de 45 ans, travaillait pour l'ex-sénateur Le Grand entre 1996 et 2007 dans la permanence de Lessay. Elle affirme que le courrier du Sénat lui revenait directement par "service sacoche". "Monique Le Grand m'appelait pour me demander si on avait reçu des invitations à des cocktails", se souvient l’ancienne salariée, qui est actuellement en procès aux prud’hommes pour harcèlement moral de la part de son ancien employeur.
À l’époque, les attachés parlementaires "extra-familiaux" n’évoquent que rarement le sujet entre eux. "On faisait notre travail, c’est tout, raconte Jean-François Nicolle. Ce n’était pas un sujet tabou dans le milieu, c’était juste clair et net pour tout le monde ; ça choquait juste celui qui n’était pas au courant de cette pratique". L’attaché parlementaire affirme même en rigoler avec l’épouse du sénateur, avec qui il entretient de très bonnes relations : "Je lui disais souvent qu’elle ne connaissait même pas le code postal de Lessay".
"C’était notre Penelope, poursuit-il avec la même ironie. Elle a été salariée pendant 30 ans à près de 2 000 euros net par mois, faites le compte, elle nous a coûté 1 million d’euros avec les charges !" De son côté, l’ancien sénateur, réfute toute comparaison avec l’affaire Fillon. "Elle travaillait réellement avec moi dans mon bureau à Paris", affirme Jean-François Le Grand, qui parle d'"un salaire de 1 000 euros net par mois" pour gérer le courrier et son agenda à Paris.
"Où est le problème ?"
Monique Le Grand, retraitée et séparée de son époux depuis, confirme : "Il fallait bien quelqu’un à Paris pour répondre au téléphone, surenchérit-elle. J’étais au Sénat le mardi, le mercredi, le jeudi et parfois même le vendredi, raconte-t-elle. J’avais une certaine liberté tout de même car je ne travaillais pas sept heures par jour". Pour décrire ses diverses activités, elle évoque "un rôle de secrétariat et de représentation". Concernant sa rémunération, elle avoue ne plus avoir de chiffre précis en tête mais parle d’"un salaire convenable proche des 2 000 euros net, moins élevé que mon collaborateur".
Au sujet de l’affaire Fillon, elle admet "ne pas comprendre toute cette obsession". "Où est le problème ?, s’enquiert-elle. Durant des années, les parlementaires ont fait travailler leurs épouses et leurs enfants pendant leurs études. Cela n’avait rien d’anormal".
Mais pour Jean-François Nicolle, la comparaison avec l'affaire Penelope Fillon ne s’arrête pas là : "Je travaillais avec 'le Fillon du bocage'", poursuit-il, en détaillant "le népotisme" de son employeur, qui a également embauché son fils au Conseil général dont il était président depuis 2004. "Il a placé son fils au syndicat de la Manche numérique [organisme public créé en 2004 visant notamment à installer la fibre optique dans tout le département, NDLR]", affirme-t-il. Philippe Le Grand y a exercé les fonctions de directeur général entre 2004 et 2009.
Pratiques désuètes
De son côté Jean-François Nicolle, licencié de son poste d'attaché parlementaire en 2004, a été remplacé par le gendre du sénateur, alors déjà en poste à Aéroports de Paris. Catherine Burais, qui a collaboré avec lui plusieurs mois, se souvient d’un homme qui était "absent un jour sur deux, parfois la semaine".
Interrogé sur ses divers états de fait, le sénateur répond, en toute simplicité : "Travailler en famille était une erreur". "Il faut mettre un terme à ces pratiques désuètes", conclut-il.