
Le président brésilien, Lula (gauche), est sous pression de Donald Trump (centre), qui veut aider l'ex-président brésilien Jair Bolsonaro (droite), accusé d'avoir fomenté un coup d'État. © Studio graphique France Médias Monde
Pour Donald Trump, c’est une affaire personnelle. La lettre qu’il a envoyée au président brésilien Lula, mercredi 9 juillet, commence d’ailleurs par "Je". Un style très éloigné des modèles des missives qu’il a également fait parvenir à plusieurs dirigeants asiatiques depuis le début de la semaine pour les informer des intentions américaines en matière de droit de douanes.
"J’ai connu, et j’ai eu affaire à l’ancien président Jair Bolsonaro [2019-2022, NDLR] que je respecte beaucoup", souligne Donald Trump en préambule. Quel rapport avec les droits de douanes américains ? Ils sont pourtant la raison d’être de ses lettres envoyées par le président américain pour donner le coup d’envoi à d’éventuelles négociations avant l’imposition des taxes américaines sur les exportations brésiliennes vers les États-Unis, prévues le 1er août.
Des droits de douane pour mettre fin à la "chasse aux sorcières"
En l'occurrence, Donald Trump établit un lien direct entre le sort réservé à Jair Bolsonaro et des taxes de 50 % que le président nord-américain veut imposer aux produits brésiliens. L’ancien président brésilien est accusé d’avoir tenté d’organiser un coup d’État, fin 2023, pour renverser les résultats de la dernière présidentielle qui a vu la victoire de Lula… qu’il aurait également cherché à faire assassiner. Jair Bolsonaro risque une peine allant jusqu’à 40 ans de prison si le tribunal le reconnaît coupable des faits.
Mais pour Donald Trump, son "ami brésilien" est victime d’une "chasse aux sorcières" qui doit cesser "immédiatement". Le président des États-Unis "ne se donne pas la peine de fournir une justification économique à ses menaces de droits de douanes", s’étonne Paul Krugman, prix Nobel d’économie de 2008, devenu un grand détracteur de Donald Trump, sur son blog.
En effet, jusqu’à présent la vendetta tarifaire de Donald Trump était présentée comme une manière de sanctionner les pays qui étaient accusée de "profiter commercialement" des États-Unis. Ce qui, en langage trumpien, revenait à mettre dans un même panier tous les pays ayant une balance commerciale excédentaire. Et le Brésil est l’un des rares pays à afficher un déficit commercial avec les États-Unis.
Autrement dit, "il est difficile de ne pas considérer les dernières menaces de droits de douane comme une sorte de vendetta personnelle et politique de Donald Trump contre le gouvernement brésilien", assure Natasha Lindstaedt, spécialiste des régimes autoritaires à l’université d’Essex.
"Les deux dirigeants ont une très mauvaise relation", poursuit cette experte. Donald Trump reproche à Lula non seulement la manière dont son gouvernement "traite" Jair Bolsonaro, mais également son positionnement politique très à gauche et "les barrières que le pays a érigées contre la pénétration du marché brésilien par les plateformes numériques étatsuniennes [X, Facebook etc.]", ajoute Thiemo Fetzer, économiste à l’université de Warwick qui a travaillé sur la guerre commerciale menée par Donald Trump.
Les droits de douane, un outil idéologique
Le président américain fait d’ailleurs référence dans sa lettre à ce qu’il appelle les "attaques insidieuses" du Brésil contre ces réseaux sociaux nord-américains. Le Brésil avait notamment bloqué l’accès à X, accusé d’être un outil de désinformation, durant l’été 2024.
Pour Thiemo Fetzer, ces griefs "technos" de Donald Trump contre Lula ne sont pas qu’une note de bas de page du bras de fer idéologique entre les deux présidents. "Les Américains considèrent ces barrières à l’entrée de leurs services numériques sur un marché aussi grand que le Brésil comme un danger pour la projection du soft power nord-américain", assure cet économiste.
Pour afficher ce contenu YouTube, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.
Accepter Gérer mes choixUne extension de votre navigateur semble bloquer le chargement du lecteur vidéo. Pour pouvoir regarder ce contenu, vous devez la désactiver ou la désinstaller.
Réessayer
Ce n’est pas la première fois que les États-Unis utilisent une arme économique à des fins politiques ou géopolitiques. "Mais jusqu’à présent, c’était plutôt sous couvert de faire avancer la cause démocratique dans le monde, comme par exemple lorsqu'ils ont réduit les aides militaires aux Philippines à la fin du règne de Ferdinand Marcos en 1985 [pour promouvoir les réformes démocratiques]", souligne Natasha Lindstaedt.
Pour elle, Donald Trump détourne cette stratégie à des fins de promotion de dirigeants autoritaires. "Il utilise les droits de douane comme un outil idéologique pour punir Lula et un gouvernement qui a été particulièrement à la pointe de la lutte contre les dérives autocratiques dans son pays", note Natasha Lindstaedt. C’est, d’après elle, une manière pour Washington de faire comprendre au reste du monde les risques qu’un gouvernement encourt s’il se place dans le "mauvais" camp idéologique aux yeux de Donald Trump.
Mais le Brésil doit aussi payer parce que le gouvernement de Lula "est l’un des principaux promoteurs d’un système de fiscalité internationale au sein du G20 et, notamment, de taxation des milliardaires. Et c’est quelque chose dont Donald Trump ne veut pas ou plutôt un domaine où les États-Unis veulent imposer leur solution", estime Thiemo Fetzer. Autrement dit, la menace de droits de douane exorbitants viserait aussi à ramener le Brésil dans les rangs.
Retour de flamme pour Washington ?
Mais est-ce que les droits des douanes représentent la meilleure arme pour faire céder le Brésil ? "La coercition ne fonctionne que si le pays ciblé n’a pas les moyens de riposter et s’il a vraiment besoin d’avoir accès au marché américain pour ses exportations", souligne Manfred Elsig, directeur adjoint du World Trade Institute de l'Université de Berne.
À ces deux égards, le Brésil n’est peut-être pas aussi dépendant des États-Unis que Donald Trump pourrait le croire. Lula a déjà annoncé que son pays allait riposter à une éventuelle hausse des droits de douane. "Le petit déjeuner des Américains risquent de coûter plus cher car un tiers du café qu’ils boivent et la moitié des oranges qu’ils consomment viennent du Brésil", souligne le quotidien espagnol El Pais.
En outre, "Lula aura d’autant plus tendance à ne pas négocier avec Donald Trump qu’il a bâti une partie de sa popularité sur sa volonté de tenir tête aux États-Unis", ajoute Natasha Lindstaedt.
Et puis les exportations vers les États-Unis ne représentent que 2 % du PIB brésilien. Le choc économique devrait pouvoir être absorbé par le Brésil. Ironiquement, la première guerre commerciale déclenchée par Donald Trump en 2018 contre Pékin "a fortement profité au Brésil qui a pu augmenter ses exportations vers la Chine", affirme Thiemo Fetzer.
Autrement dit, Donald Trump a, par ricochet, rendu le Brésil moins susceptible d’être soumis à un chantage commercial nord-américain. Et pour les experts interrogés, ces nouvelles menaces pourraient rapprocher encore davantage le Brésil de la Chine, "ce qui serait l’inverse de ce que recherche Donald Trump".