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Les Faucons de la liberté au Kurdistan (TAK), qui ont revendiqué l'attentat du 10 décembre à Istanbul, sèment la terreur en Turquie depuis le début de l'année 2016. Branche dissidente ou simple couverture du PKK ? Le TAK demeure largement mystérieux.

Les Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK) ont revendiqué cinq attaques depuis le début de l’année : un double attentat près d’un stade de foot dans le centre d’Istanbul le 10 décembre, l’explosion d’une voiture piégée à Diyarbakir dans le sud-est du pays le 4 novembre, une explosion à Beyazit dans le quartier historique d’Istanbul le 7 juin, deux attentats à la voiture piégée à Ankara les 13 mars et 17 février. En tout, plus de 120 personnes ont été tuées.

Mais qui sont ces combattants ? Créé dans les années 2000, le TAK est une formation plutôt secrète, voire même mystérieuse puisque sa nature même est sujette à plusieurs interprétations.

Est-ce une branche dissidente du PKK ?

La thèse la plus répandue reste celle d’une branche dissidente du PKK (Parti des travailleurs kurdes), ennemi juré d’Ankara. Le TAK aurait été créé au moment où le PKK traversait une période de crise, à la fin des années 2000, quand Abdullah Ocalan, le leader du PKK, a été emprisonné sur l'île-prison d'Imrali (située dans le sud de la mer Marmara).

Selon Tancrède Josseran, spécialiste de la question kurde et attaché de recherche à l'Institut de stratégie comparée (ISC), les membres des Faucons de la Liberté du Kurdistan reprochaient alors au PKK sa ligne plutôt modéré. "Dans les années 2000, Ocalan est capturé. Depuis sa prison, il aseptise son discours, explique Tancrède Josseran. Il prône l’abandon de la lutte armée comme s’il rêvait d’un destin à la Nelson Mandela". Une position qui ne plaît pas à tous les militants de la cause kurde.

Le 16 juillet 2005, le TAK signe sa première attaque, dans la station balnéaire de Kusadasi, sur la mer Égée. Cinq personnes sont tuées. Le PKK dément toute implication, le TAK revendique l'attentat quelques jours plus tard. C’est le début d’une longue série d’attaques.

Le PKK a toujours nié tout lien avec le TAK. Le premier se veut une guérilla, pas une organisation terroriste. À ce titre, en 2011, le PKK s'était désolidarisé d'une attaque des TAK à Ankara, estimant qu'elle était "répréhensible" et "nuisait aux demandes légitimes du peuple" kurde.

• Est-ce une cellule dormante du PKK ?

Pour Olivier Grojean, spécialiste de la question kurde et maître de conférences à Paris I Panthéon-Sorbonne, la scission PKK-TAK n’est pas aussi évidente. "Les circonstances de la naissance du TAK sont très floues, explique-t-il. Il se pourrait que le groupe soit une création du PKK et qu’il se soit peu à peu autonomisé". Certains militants n’auraient pas digéré la ligne d’apaisement prôné par le PKK, après des années de guerre avec le pouvoir turc.

Dans les années post-2005, les relations entre TAK et PKK ont évolué, continue Olivier Grojean. "Le TAK des années 2000 n’est pas le même que le TAK des années 2015. À sa création, ses membres torpillaient les cessez-le-feu du PKK, ils menaient des actions très violentes", précise l’expert. Puis progressivement, ils ont disparu de la scène turque.

"Dans les années 2009-2015, les TAK ont cessé leurs actions". Pourquoi ? "On ne sait pas vraiment", confesse Olivier Grosjean. Ont-ils été dissous par le PKK ? Se sont-ils repliés en cellules dormantes sur ordre du PKK ? "Ce qui est sûr, c’est que le TAK aurait pu court-circuiter les négociations de paix entamées avec Ankara en 2012 et il ne l’a pas fait."

En 2015, le TAK sort de l’ombre. Le 23 décembre, ses membres tirent des obus de mortier sur l'aéroport Sabiha Gökçen d'Istanbul. C’est aussi à cette même époque que le PKK entre à nouveau en conflit avec l'armée dans le sud-est de la Turquie, à la suite de la décision, en juillet 2015, du président Recep Tayyip Erdogan de mener une double-guerre contre les djihadistes de l'État islamique et les indépendantistes kurdes. "À ce moment-là, il y a une évidence : c’est la convergence des luttes du PKK et du TAK", ajoute le spécialiste.

• Aujourd’hui, quelle est la nature exacte de la relation entre les deux groupes ?

"Personne ne sait vraiment", concède Olivier Grojean. Pour le pouvoir turc, le TAK et le PKK ne sont qu’un seul et même groupe terroriste. Les deux mouvements suivent d’ailleurs le même leader Abdullah Ocalan. Ankara considère que les Faucons de la Libertés ne sont qu’une couverture créée par le PKK pour commettre des attentats sanglants et ne pas ternir son image. Car les Kurdes, notamment les YPG, la branche syrienne du PKK, jouissent d’une reconnaissance de la communauté internationale depuis qu’ils combattent les jihadistes de l’organisation État islamique (EI).

Pour Tancrède Josseran, l’explication n’est pas complètement farfelue. Pour ne pas écorner l’image d’Épinal des YPG luttant contre les terroristes en Syrie, "les membres du PKK ont certainement sous-traité certaines attaques au TAK". Selon l’expert, il y a eu une répartition des rôles : le PKK mène des attaques à l’est de la Turquie, près de la Syrie, sur des cibles armées. Le TAK, lui, doit en théorie s’en prendre aux cibles à l’ouest du pays, là où il y a plus de touristes".

L’explication tient la route : le 13 mars, par exemple, le TAK a fait exploser une voiture piégée à Ankara, près de Güven Park, l'un des endroits les plus fréquentés de la capitale, tuant 35 personnes. Dans un communiqué publié un mois plus tôt, le TAK prévenait : "Nous conseillons aux touristes étrangers et turcs de ne pas aller dans les zones touristiques en Turquie. Nous ne serons pas responsables de ceux qui mourront dans les attaques qui viseront ces sites". Le PKK, de son côté, a revendiqué le 26 août l’attentat suicide à Cizre à la frontière syrienne. Onze policiers avaient été tués.

Olivier Grojean, pourtant, nuance cette hypothèse. "Le TAK cible surtout les zones urbaines, le PKK les zones montagneuses, rurales, où il y a davantage de cibles militaires". Mais selon lui, les deux mouvements ont un objectif commun : les forces armées. "Je ne pense pas que le but du TAK soit d’atteindre des civils, comme on l’entend un peu partout. Leur cible a toujours été militaire mais il y a eu des ratés et des dommages collatéraux. Le 13 mars, par exemple, l’attentat a eu lieu dans un endroit très fréquenté, mais surtout situé à une dizaine de mètres d'un commissariat de police."

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