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Après le passage de l'ouragan Matthew, l'État haïtien tente de coordonner l'aide humanitaire

Une semaine après le passage de l'ouragan Matthew, Haïti fait face au risque d'épidémie de choléra et de famine. Des appels aux dons ont été lancés mais les autorités estiment que l'aide extérieure ne doit pas s'éterniser.

Une semaine après le passage de l'ouragan Matthew, Haïti n'a pas encore une vision complète de l'ampleur de la catastrophe. Au dernier bilan, diffusé mardi 11 octobre par la protection civile, le cyclone a tué 473 personnes et 75 sont toujours portées disparues. Face à l'ampleur des pertes humaines et des destructions (1,4 million d'Haïtiens ont besoin d'une aide d'urgence), le président provisoire de la République Jocelerme Privert a décrété trois jours de deuil national à compter de dimanche.

Toute la partie méridionale du pays a été noyée sous des pluies diluviennes et secouée, pendant de longues heures, par des vents de 230 km/h détruisant tout sur leur passage : des milliers d'habitations ont été totalement soufflées et plus de 175 000 Haïtiens ont dû trouver refuge dans des abris provisoires.

Dans le Nippes, département du sud de l'île, particulièrement sinistré, près de 21 000 personnes étaient toujours réfugiées dans les églises et école, mercredi, et des communes restaient coupées du monde. "Toute une zone à l'ouest du département n'est accessible que par bateau ou après deux heures de marche. Certaines rivières sont toujours en crue et des routes ont été complètement détruites", explique à France 24 Anne-Gaëlle Lebeau, coordinatrice de l’équipe d’urgence de l'ONG Solidarités international.

Urgence face au choléra

Les destructions de route et les inondations compliquent donc l'acheminement des secours, mais également les réparations, notamment celles des réseaux d'eau potable. Les autorités et les organisations humanitaires redoutent une importante recrudescence du choléra. "De nombreux réseaux d'eau portable ont été détruits et la population se tourne vers des eaux polluées, chargées de boue, prenant le risque d'être contaminé", poursuit Mme Lebeau.

Le choléra s’était déclaré pour la première fois en Haïti en octobre 2010 après que des casques bleus népalais, venus en renfort au moment du séisme de janvier 2010, ont contaminé le fleuve Artibonite. Depuis, la maladie aurait décimé environ 10 000 personnes et contaminé plus de 800 000. Les autorités tentent cette fois de contenir l'épidémie mais près de 150 nouveaux cas de choléra ont été recensés depuis une semaine dans le département de la Grande Anse, et une cinquantaine dans celui du Sud.

"Si on n'intervient pas rapidement, il y a un risque de flambée", avertit Anne-Gaëlle Lebeau dont les équipes acheminent auprès des sinistrés des réservoirs souples d'eau potable, approvisionnés par camion. Médecins du Monde déploie également un "cordon sanitaire" autour des familles touchées, mettant ainsi en œuvre le protocole défini par le ministère de la Santé. Mardi 11 octobre, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a également annoncé l’expédition vers Haïti d’un million de doses de vaccins contre le choléra.

Sécurité alimentaire : des conséquences "à moyen voire long terme"

Sur la longue liste des conséquences de cette nouvelle catastrophe climatique qui frappe l'un des pays les plus pauvres au monde, les ONG évoquent aussi la sécurité alimentaire. Comme Sandy en 2012, Matthew a ravagé les cultures, balayé la terre et emporté les semences. "L'ouragan a détruit toute la production agricole du pays. Pour l'instant, les marchés vendent encore ce qui a pu être sauvés et ce qu'il restait en réserve. Mais les denrées risquent de s'amenuiser rapidement et les prix vont flamber", prédit Anne-Gaëlle Lebeau.

Des programmes alimentaires vont être mis en place, assure-t-elle, mais c'est un nouveau coup dur pour le pays qui peine encore à se relever du violent séisme de 2010. Son autonomie alimentaire, déjà compromise, en est d'autant plus fragilisée : selon les estimations du journaliste haïtien Ronel Odatte, interrogé par TV5 Monde, la production agricole locale ne couvrait déjà plus que 45 % des besoins alimentaires de l'île avant le passage de Matthew. Cette proportion risque de se réduire d'autant plus.

La situation ne va faire que s'empirer.

Anne-Gaelle Lebeau, coordinatrice de l’équipe d’urgence de l'ONG Solidarités internationales.

"Une forte sécheresse en 2015 avait déjà affaibli les ressources du pays et rendu les populations vulnérables. La situation ne va faire que s'empirer. En ce qui concerne la sécurité alimentaire, nous parlons de conséquences à moyen voire à long terme", renchérit Anne-Gaëlle Lebeau qui estime que la population n’a plus qu’à attendre l’aide et l’approvisionnement alimentaire de l’extérieur.

Coordonner l'aide extérieure

Les appels aux dons pour Haïti se sont multipliés un peu partout dans le monde. Six ans après le séisme qui avait fait plus de 200 000 victimes, la catastrophe suscite un élan de générosité internationale : deux stations de production d'eau potable ont été acheminées depuis la France mardi matin par avion*; soixante agents de la sécurité civile française et plus de 300 Marines américains sont également déployés dans le pays.

Les acteurs humanitaires demandent une aide de 119 millions de dollars pour subvenir aux besoins urgents des populations affectées.

Mais la communauté humanitaire ne veut surtout pas que se reproduise le fiasco de la période post-séisme, où la coordination avait été quasi inexistante. L'OMS a par ailleurs été très claire en ce qui concerne l'assistance médicale : l'aide extérieure n'est aujourd'hui pas nécessaire. Jocelerme Privert estime lui que la période d'urgence humanitaire ne doit pas s'éterniser. "Si nous persistons à apporter de l'aide alimentaire urgente aux personnes victimes, sans prendre des mesures pour les recapitaliser, pour qu'il y ait une circulation d'argent dans les régions affectées, le risque d'un exode vers les grandes villes est toujours là", a prévenu le président.

En référence à la mauvaise gestion de l'aide par les précédents gouvernements, Jocelerme Privert a réaffirmé le rôle premier de l'État haïtien dans la gestion de cette nouvelle crise humanitaire. "Il n'y a pas deux acteurs sur le terrain mais un seul : l'acteur, c'est l'État", a-t-il insisté. Mais "cet acteur dispose-t-il de tous les moyens lui permettant de répondre aux attentes de la population ? La réponse est non", a-t-il reconnu.