L’élimination de son porte-parole, Abou Mohamed al-Adnani, est un coup dur porté à l’organisation État islamique. Elle pourrait notamment profiter à l'organisation terroriste rivale, Al-Qaïda.
Au lendemain de l’annonce de la mort d’Abou Mohamed al-Adnani, mardi 30 août, beaucoup d’observateurs soulignent le symbole fort que représente la disparition de cette figure emblématique de l’organisation État islamique (EI).
Porte-parole du groupe terroriste, mais aussi considéré comme le "ministre des attentats" de l’EI par les services de renseignements occidentaux, Adnani faisait partie des chefs historiques de l’organisation et était engagé aux côtés d’Abou Moussab al-Zarqaoui, le chef d’Al-Qaïda en Irak – précurseur de l’EI – dès le début des années 2000.
C’est aussi lui qui, le 29 juin 2014, avait annoncé dans un enregistrement audio "le rétablissement du califat" par l’EI et la désignation de son chef Abou Bakr al-Baghdadi comme "calife". On l’avait aussi vu le même jour, sur un bulldozer, détruire la frontière entre la Syrie et l’Irak.
"L'assassinat d'Adnani est un signal que l'EI n'est plus en mesure de protéger ses leaders les plus importants", affirme à l'AFP Hicham al-Hachemi, spécialiste des mouvements jihadistes en Syrie et en Irak. "Les États-Unis pourraient être très proches de tuer Baghdadi la prochaine fois. Il ne reste plus à ses côtés que deux fondateurs de l'EI : l'Irakien Abou Abdel Rahmane Iyad al-Oubeidi et le Saoudien Abou Mohammed al-Chemali", selon l'expert, pour qui "il est très clair que l'EI est infiltré au niveau de ses dirigeants et que la plupart de leurs déplacements sont connus des services de renseignements".
Pour Aymenn Jawad al-Tamimi, autre expert des mouvements jihadistes, sa disparition est "symboliquement importante et, plus largement, une indication du déclin de l'organisation État islamique". "Si une frappe aérienne de la coalition l'a touché, cela montre que la pénétration des renseignements de la coalition est très élevée. Sinon, il n'aurait pas été possible d'éliminer autant de responsables de haut rang", selon lui.
"Il sera très vite remplacé"
Symboliquement, cette élimination d’Adnani, après les pertes de territoires en Syrie et en Irak et les morts de plusieurs de ses chefs, est donc un nouveau coup dur porté à l’EI. Mais concrètement, à quels changements faut-il s’attendre ?
"Il y aura une désorganisation des opérations du groupe sur le terrain, directement dûe à la disparition d’Adnani car c’était quelqu’un d’important, de très écouté et qui avait plusieurs casquettes au sein de l’EI", estime Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes à France 24. "Mais cette désorganisation ne sera que ponctuelle car il sera très vite remplacé", ajoute le spécialiste, qui pense que l’éventuel remplacement du porte-parole de l’EI avait d’ailleurs été anticipé par l’organisation.
"Ça fait partie de l’ADN d’un mouvement jihadiste : les chefs sont remplaçables et très rapidement, car ils savent pertinemment, d’une manière très pragmatique, qu’ils ont constamment une épée de Damoclès au-dessus de la tête et, de fait, une espérance de vie réduite", explique Wassim Nasr.
Al-Qaïda plus puissante cinq ans après la mort de Ben Laden
Faut-il comprendre que l’EI aura davantage de difficultés à mener des actions terroristes en Europe ou ailleurs ? "Il faut plutôt craindre des représailles, estime pour sa part Wassim Nasr. Ce n’est pas lui qui faisait directement le recrutement des cellules terroristes. Il ne faut pas s’attendre à une quelconque déstabilisation de l’EI à l’étranger."
En revanche, l’affaiblissement de l’organisation État islamique est bien réel en Syrie et en Irak, notamment vis-à-vis de sa grande rivale Al-Qaïda, et la mort d’Abou Mohamed al-Adnani pourrait profiter au plus ancien des groupes jihadistes.
"Les chefs d’Al-Qaïda sont très heureux de la mort d’Adnani parce qu’il était l’un de leurs ennemis mortels, ajoute Wassim Nasr. Il a joué un grand rôle dans l’éviction du Front al-Nosra dans l’est syrien et a tenu des propos très virulents à leur encontre, qualifiant les combattants d’Al-Qaïda d’illégitimes."
L’opposition entre l'EI et Al-Qaïda a même donné lieu à une mubâhala entre Adnani et un chef d’Al-Qaïda qui s’étaient invectivés via plusieurs messages audio. Une mubâhala est un affrontement entre deux parties demandant à Allah de choisir son camp. "Or pour Al-Qaïda, la mort d’Adnani est le signe qu’Allah les a choisis", affirme Wassim Nasr.